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psychologiques », et il convenait que, « décidément, le théâtre vit de faits, d’action, de mouvement et de progression ». Si cet axiome, en thèse générale, n’est pas dépourvu d’une certaine banalité solennelle, il se trouvait du moins absolument justifié pour un ouvrage comme le Supplice d’une femme, dont la donnée scabreuse risquait de soulever du tumulte et des protestations : « Etait-il, dit le collaborateur d’Emile de Girardin, un sujet qui demandât plus de concision, plus de rapidité, plus d’adresse ? Fallait-il procéder autrement que par le mouvement, le fait et les larmes ? Le temps de reprendre haleine, le public était révolté ; un entr’acte d’un quart d’heure, qui permît de réfléchir, la pièce était perdue. » Voici bien, en germe, la théorie du théâtre considéré, non plus comme un tableau des mœurs ou une peinture des passions, mais comme une argumentation précise, serrée, violente, au bout de laquelle se place logiquement une conclusion fatale, que le spectateur stupéfait et haletant n’aura ni la faculté ni le loisir de discuter. C’était une « épreuve nouvelle » à tenter pour un dramaturge que l’emploi d’un pareil procédé de facture ; et le maître du Demi-Monde ne s’en dissimulait pas les périls ; il en courait cependant l’aventure avec le Supplice d’une femme, parce que toute autre « manière » lui semblait impraticable ; et aussi parce que, travaillant en compagnie « d’un journaliste célèbre par ses alinéas courts, ses aphorismes brefs, tranchans, explosifs », il se jugeait plus autorisé à prendre des allures de « polémiste. »

L’épreuve du reste réussit ; et elle réussit également avec cette Mademoiselle de Breuil, d’Armand Durantin, qu’Alexandre Dumas fils remania selon une méthode identique à celle dont il avait usé pour le Supplice d’une femme, et dont il fit Héloïse Paranquet. Il ne se décidait pourtant pas encore à appliquer ouvertement ses théories dramatiques, tant il les estimait osées et hasardeuses ; il revint au roman, que, depuis douze ans, il avait délaissé ; pour la première fois, il essaya une œuvre d’imagination qui fût en même temps « une thèse », et où il prît part à la discussion « des grandes questions fondamentales de l’humanité ». Afin de faciliter sa tâche, et par précaution contre la critique, il donna prudemment à son livre la forme d’une plaidoirie rédigée par son héros lui-même, et l’Affaire Clemenceau reçut en sous-titre la mention : Mémoire de l’accusé. Puis, il fit jouer, avec un succès incertain, les Idées de Mme Aubray, comédie intermédiaire, moitié étude de mœurs, moitié traité de morale et de