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depuis 1815 et 1830, l’Angleterre ne nous avait pas laissé ignorer qu’elle ne consentirait pas à la mainmise de notre part sur tout ou partie des Pays-Bas. C’est le rôle de sentinelle de l’Allemagne sur le Rhin, Gervinus l’a noté, qui avait, commencé la popularité allemande de la Prusse ; comment pourrions-nous espérer qu’elle y renonçât ? L’alliance de l’ambition, partout, et particulièrement en Belgique et sur le Rhin, était celle de la Russie. L’Empereur la tenta un instant, après le Congrès de Paris, mais sans rompre celle avec l’Angleterre, et non pour s’agrandir, mais pour favoriser ses projets d’affranchissement sur le Danube et sur le Mincio. Bien que la Russie se soit montrée de la plus utile, de la plus loyale assistance, et nous ait préservés deux fois par ses avis de la coalition imminente, il ne sut pas résister au cri d’imploration insensé venu de la Pologne, et, au grand détriment de notre sécurité nationale et du véritable intérêt de la Pologne elle-même, il rompit l’union qui lui avait permis d’opérer, malgré le mauvais vouloir de l’Angleterre, une partie de son œuvre d’émancipation à Bucharest et à Milan.

Dans la conduite de cette politique des nationalités et dans les rapports d’alliance qu’elle exigea, Napoléon III, d’une irréprochable loyauté, « fut le plus fidèle des alliés et aucune iniluence ni aucun intérêt n’ont jamais fait fléchir sa délicate probité[1] ».

Les diplomates étrangers l’ont reconnu. « On pouvait compter sur sa parole, quand il s’agissait de traités internationaux », disait Beust[2]. Le prince Albert parle de sa franchise habituelle, et la reine dit qu’il est naturellement franc[3]. On a prêté à Cowley ce mot : « Il parle peu, mais il ment toujours. » Or, Cobden nous a transmis l’opinion réelle de Cowley : dans une longue conversation, celui-ci « loua la franchise de l’Empereur, qui avait montré une stricte adhésion à sa parole dans tous ses rapports avec lui ». — « Lord Cowley, écrit Cobden ailleurs, sourit à l’idée généralement répandue qu’il (l’Empereur) est toujours animé par un dessein machiavélique, quand, au contraire, il commet une indiscrétion par simplicité et manque de sagacité diplomatique[4]. »

  1. Morny, Ambassade en Russie, p. 85.
  2. Martin, le Prince Albert, traduction Craven, t. II, ch. XIX.
  3. Mémoires, t. I, p. 267.
  4. Morley, Vie de Cobden, traduction Raffalovich, p. 319 et 323. Un ambassadeur anglais, peu favorable à l’Empereur, dit dans ses Mémoires : « L’Empereur était trop loyal pour… etc. » Loftus, Diplomatic reminiscences, p. 222.