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carbonari et dut se réfugier en Angleterre où il se maria avec une jeune ouvrière en dentelles. John Anthony Mundella naquit à Leicester en 1825 : il connut dès ses premières années les privations et les souffrances de la lutte pour la vie, car sa famille n’était pas riche et n’avait d’autres ressources que le travail du père et de la mère ; mais il eut le bonheur d’être élevé par une femme intelligente, instruite, qui, sans se laisser absorber par les préoccupations matérielles, sut inculquer à ses enfans le culte du bien et l’amour du beau. À cette époque, on n’avait pas encore organisé l’enseignement primaire public et John Anthony eut peine à trouver place dans l’école paroissiale. Il y montra de rares aptitudes et un vif désir de s’instruire, mais il ne lui fut pas possible de continuer ses études. Des chômages prolongés et la naissance d’autres enfans avaient amené la misère dans le ménage et dès l’âge de neuf ans, l’aîné dut quitter la classe pour travailler dans une imprimerie. C’est là qu’à force d’énergie, il trouva le moyen de continuer ses études, passant tout le jour dans l’atelier et profitant, pour compléter son instruction, des cours du soir et des écoles du dimanche.

A douze ans, il quitta l’imprimerie pour faire son apprentissage dans une fabrique de bonneterie ; il s’y fit remarquer par son zèle et son intelligence, et ne tarda pas à devenir contremaître dans l’usine Harris, de Leicester. Dès lors, sa vie matérielle fut mieux assurée et il put entrevoir la perspective d’un travail plus rémunérateur encore, mais il lui restait le regret de ne pouvoir s’instruire. Il avait le culte de la science, et toute sa vie, il déplora de n’avoir pas reçu l’instruction classique dans une école supérieure. Peut-être avait-il tort, car c’est à cette formation où l’initiative individuelle et la volonté eurent plus de part que les enseignemens du maître qu’il dut le développement de sa puissante personnalité. En tous cas, comme l’a fait très justement remarquer sa fille, Mme Roby Thorpe, c’est en vivant au milieu des ouvriers qu’il a appris à les si bien connaître et qu’il a su mieux que personne apprécier toutes choses en se plaçant à leur point de vue.

La maison paternelle lui fournissait des enseignemens d’un autre ordre ; son père vendait des journaux et le jeune garçon dévorait avec avidité la Voix du Peuple et le Poor Man’s Advocate de O’Doherty, les pamphlets socialistes de Robert Owen et d’autres journaux plus techniques comme le Trade-Union Magazine