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juridique, mais aussi au point de vue économique. Mundella, à la tête d’une grande usine, cherchant une solution pratique à des conflits déplorables, ne paraît pas s’être préoccupé des objections de cette nature, mais il est certain que les premiers Conseils d’arbitrage étaient absolument illicites, car, en 1860, le Master and Servant Act était encore en vigueur, et les lois de 1824-1825 n’avaient pas accordé la reconnaissance légale aux Trade-Unions auxquelles il était interdit sous les peines les plus sévères d’intervenir dans les contrats de louage (in restraint of Trade). L’acte de George IV sur l’arbitrage ne leur était pas applicable, et il fallut pour leur donner une existence légale les lois de 1867 et de 1872, connues sous le nom de Lord Saint-Léonard Act et de Mundella Act.

Mais l’objection juridique n’était pas la plus grave. Au point de vue économique, les effets étaient incalculables. Les patrons cessaient à partir de ce moment d’être maîtres de régler les salaires et les conditions du travail. Le pouvoir d’appréciation passait au Conseil de la corporation, et, les ouvriers s’y trouvant représentés au même titre que les patrons, on pouvait craindre de leur voir prendre dans la suite cette prépondérance du nombre qui avait tant effrayé les maîtres du XVe siècle et les avait amenés à demander au pouvoir royal la suppression des corporations et la réglementation par l’Etat.

La création de ces Conseils devait nécessairement entraîner la constitution de corporations puissantes, organisées légalement, car il faut que l’association ouvrière qui se soumet à l’arbitrage ait une discipline assez forte pour faire accepter par tous la sentence rendue ; il faut aussi qu’elle jouisse de la personnalité civile pour présenter une responsabilité effective et qu’elle soit assez stable pour que ses délégués puissent être instruits des nécessités de l’industrie, ce qui ne peut s’obtenir que par le concours d’experts et de conseils salariés par l’Union.

C’est ce que comprirent immédiatement les nouveaux chefs des Unions qui, animés d’un tout autre esprit que leurs devanciers, cherchaient à obtenir par les voies légales les résultats que les travailleurs n’avaient pu obtenir par la violence. Les Unions avaient alors à leur tête un comité directeur établi à Londres et connu sous le nom assez singulier de la Junta. Les difficultés d’une administration très compliquée, les responsabilités pécuniaires, la nécessité d’organiser une comptabilité régulière avaient bien vite fait écarter les anciens chefs qui ne devaient leur ascendant