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de deux agitateurs socialistes, O’Doherty et Robert Owen, qui entreprirent de faire des Unions une machine de guerre contre la société capitaliste et d’amener une révolution au moyen de la grève générale. À deux reprises, ils réussirent à grouper dans de grandes fédérations des centaines de milliers d’ouvriers, et le mouvement corporatif menaça de dégénérer en une véritable guerre de classes, lorsque les travailleurs agricoles, entrant à leur tour en ligne, se mirent à incendier les récoltes et les châteaux.

Le gouvernement anglais fut admirable de calme et de décision : il sut éviter toute réaction et respecter la liberté d’association, mais en même temps il réprima énergiquement les désordres et fit pendre impitoyablement les incendiaires. L’agitation ne tarda pas à prendre fin ; les grandes fédérations ne vécurent que quelques mois et disparurent en même temps que l’influence de Robert Owen allait s’affaiblissant.

Cobbett et les Chartistes essayèrent en vain de reprendre la direction des classes ouvrières en mettant dans leur programme la réforme électorale, le suffrage universel et la journée de huit heures. Le gouvernement avait su opérer une diversion efficace en favorisant le mouvement mutualiste et en édictant une série de lois organisant les Friendly Societies (Sociétés de secours mutuels). Les travailleurs, las des agitations stériles, entrèrent en foule dans les nouvelles associations qui leur offraient des avantages de toute nature et une sécurité absolue, et, pour retenir leurs adhérens, les chefs durent reconstituer les Unions sur le type des Unions mixtes en adjoignant à la caisse des grèves une série d’institutions d’assistance et de prévoyance. Un esprit nouveau anima les corporations, les difficultés d’une administration compliquée et les responsabilités financières amenèrent de grands change mens dans leur direction, et le péril social parut conjuré.

Mais au point de vue économique, les difficultés continuaient ; les luttes passées avaient laissé bien des fermens de haine et beaucoup d’Unions restaient sur le pied de guerre. Les anciens meneurs blâmaient hautement la nouvelle organisation et reprochaient aux Unions mixtes d’oublier qu’elles devaient être avant tout l’organe des revendications ouvrières et l’instrument de la lutte contre les patrons. Ils ne laissaient échapper aucune occasion de conflit, et lorsque le souvenir de la crise de 1835 alla s’effaçant, lorsque l’argent recommença à affluer dans leurs caisses, ils suscitèrent coup sur coup de nouvelles grèves.