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une influence décisive. Bien que j’aie été l’admirateur et l’ami de Mundella, je ne partageais pas toutes ses idées, et je ne veux faire ici ni un panégyrique ni une thèse, mais un simple exposé de faits qui me semblent jeter quelque lumière sur certains problèmes contemporains. Quant à l’œuvre en elle-même, les derniers événemens prouvent qu’il y aurait témérité à considérer comme définitif ce qui a été fait, et c’est l’avenir seul qui prononcera.


I

Pour bien comprendre l’importance du rôle de Mundella, il faut se rendre compte de la situation vraiment intolérable où se trouvait l’industrie anglaise en 1860, situation dont la crise actuelle ne saurait donner qu’une idée très incomplète.

Les Trade-Unions n’ont pas toujours été ces grandes associations, légalement constituées, que les hommes d’Etat anglais considèrent aujourd’hui comme une des bases de la société et la meilleure sauvegarde contre l’envahissement du socialisme révolutionnaire. Elles n’ont conquis le droit à l’existence que par un demi-siècle de luttes violentes ; elles ont traversé des crises redoutables, et les auteurs des lois de liberté de 1820 et de 1825 désespérèrent longtemps de leur avenir. Avant d’être organisées comme elles le sont actuellement, elles eurent à triompher non seulement de l’hostilité des patrons et de la défiance des magistrats, mais aussi de l’ignorance et des préjugés des ouvriers, habitués à vivre depuis des siècles sous le régime de la réglementation par l’Etat et mal préparés à l’exercice de leurs nouveaux droits. Le premier usage qu’ils firent de la liberté reconquise fut de réclamer, à tout propos, des augmentations de salaires et de provoquer des grèves continuelles.

Le résultat fut ce qu’il devait être, car on ne peut lutter contre la rigueur des lois économiques et modifier arbitrairement les conditions de la production ; toutes ces grèves, légèrement entreprises et soutenues avec une aveugle obstination, aboutirent à la crise de 1835 qui mit en danger la prospérité de l’Angleterre et entraîna la ruine de toutes les Unions à l’exception de quelques-unes qui s’étaient constituées dès l’origine sur le type nettement corporatif.

Désespérés de leurs insuccès, les ouvriers subirent l’influence