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plaindre, lui apportent l’hommage de leurs travaux, de leur zèle infatigable, de leur santé détruite au service des sauvages et des pêcheurs de morue.

Plus haut encore sur la falaise, est planté le séminaire. Les portes massives roulent devant moi. Je retrouve dans son empire M. l’abbé Huard. Deux cents jeunes gens reçoivent ici le bienfait de l’instruction ; il y a un cours commercial, mais beaucoup d’élèves font des études complètes. Un journal, l’Oiseau-Mouche, imprimé au collège même, répand les élucubrations de ceux que tourmente le démon d’écrire. J’y ai lu de très bonnes critiques dont je dénonce l’auteur, un professeur de rhétorique capable de la plus fine ironie. Se moquait-il un peu en disant que pendant son séjour à, Paris le froid l’avait fait souffrir ? Je serais tenté de le croire, vu les hautes latitudes où nous sommes, si l’abondance des moyens de chauffage, poêles et calorifères, ne me faisait comprendre ce paradoxe apparent qu’on a froid en effet partout, sauf dans l’extrême nord. Le cabinet du supérieur est rempli d’échantillons d’histoire naturelle, reptiles, insectes, herbiers ; des livres couvrent les murs ; c’est de là que part une publication intéressante, le Naturaliste Canadien, c’est là que s’achève pour le moment le livre sur le labrador que son auteur promet de m’envoyer, — promesse qui a été tenue à ma grande satisfaction et à mon grand profit.

La salle de récréation des élèves, une sorte de halle garnie d’engins de gymnastique, permet de se livrer sans sortir aux exercices les plus violens. Il y a quelques fleurs dans le fumoir des professeurs, tous prêtres, bien entendu ; je n’ai pas vu d’autre luxe. Les classes, la chapelle, tout est fort simple et même d’une âpre rusticité qui sent la mission et prend à cause de cela un grand caractère ; ces lourds volets, ces barreaux massifs, ces murs de forteresse semblent capables de soutenir un siège contre les glaces et contre les Iroquois. Ce n’est pas la moins rude des missions en effet au Canada, que celle de l’enseignement ; tous les fondateurs de collèges catholiques commencent sans capitaux, mal secondés par une population que ne dévore pas le besoin de s’instruire, avec la menaçante concurrence des écoles protestantes riches et bien patronnées. J’aurais voulu oser dire à ces vaillans propagateurs des études classiques et des lettres françaises, combien j’estimais leur désintéressement et leurs efforts. Je leur aurais peut-être demandé en même temps