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tombèrent en admiration devant des orignaux si bien dressés. D’autres chevaux et des ânesses, envoyés à deux ou trois reprises, furent distribués chez ceux des gentilshommes qui s’occupaient activement d’agriculture. L’âne seul refusa de s’acclimater. De tous les animaux transportés de France, qui, sauf cette seule exception, pullulèrent rapidement, comme les humains, le cheval fut encore celui qui se multiplia le plus. Les chevaux offerts ainsi par Louis XIV, et dont on a comparé l’apparence à celle de leurs frères des Ardennes, se sont écartés depuis pour la plupart de ce type primitif ; les croisemens avec différentes races ne les ont point embellis, mais ils ont conservé leurs qualités de vitesse et de patience, ne craignant ni les côtes ni les mauvais chemins, ni le froid, ni la tempête, ni cette aveuglante poudrerie qui se dégage de la neige gelée quand le vent la balaye. Solides et rustiques, ils sont parfaitement appareillés aux braves gens qui se servent d’eux, français au fond, mais ensauvagés jusqu’à un certain point.

Je l’ai déjà dit : il y eut de singuliers rapprochemens entre les deux races rouge et blanche. Les sauvages empruntèrent aux blancs le goût des liqueurs fortes, les blancs prirent aux sauvages quelques-uns de leurs procédés de guerre ; ils s’étaient battus ensemble en alliés. Franciser les Indiens paraît avoir été impossible ; il fut plus facile aux Français de s’indianiser. Dès le XVIIIe siècle les pipes, les souliers, les ceintures, les jarretières des Canadiens sont à la mode indienne. Thoreau, dans son Yankee au Canada plein de remarques ingénieuses, de paradoxes et de malentendus, qui date de 1850, a dit drôlement : « Tandis que nous autres, descendans des Pèlerins, nous apprenons aux Anglais l’art de faire des bottines à vis, les descendans des Français au Canada portent encore le mocassin sauvage. » — Cette remarque très juste peut s’appliquera autre chose encore qu’à la chaussure, — aux mœurs en général, à l’éducation, aux différences fondamentales de l’esprit de trafic d’une part et de certains préjugés chevaleresques de l’autre.

Ce qui est curieux, c’est que les sentimens et les habitudes des Canadiens semblent s’être communiqués dans la province de Québec aux étrangers établis parmi eux. Lors de la conquête, le district de la Malbaie fut octroyé à des concessionnaires écossais dont on ne reconnaît plus aujourd’hui les descendans que par leurs noms ; ils ne savent parler que le français. De même il arrive assez souvent