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explosion de sentimens patriotiques : les Anglais ne s’obstinent-ils pas à la nommer Murray Bay, d’un nom ennemi, celui du général Murray ? Oublie-t-on, que, sous prétexte de garder une conquête encore mal assurée, ce remplaçant de Wolfe appliqua cruellement la loi martiale ? Pour tout autre que les Anglais, Murray Bay ne sera jamais que la Malbaie, du nom que lui donna Champlain. C’est une brillante station d’été que nous appellerions volontiers le Trouville du Canada, si l’on chassait à Trouville l’ours et le caribou, si des forêts presque vierges rejoignaient la plage normande. On prend aussi des bains de mer à peine adoucis, quant au sel s’entend, car ils sont aussi froids que possible. Le bateau s’arrête à Pointe-à-Pic, l’une des deux pointes de la baie, l’autre se nomme Cap à l’Aigle : c’est sur ces deux promontoires, à une certaine distance de la ville, que sont bâtis les hôtels et les jolies villas américaines en bois dans le style coquet et ultramoderne qui diffère si complètement des vieilles et solides demeures canadiennes sans aucune prétention esthétique. La halte est assez longue pour que l’on puisse profiter de l’offre d’une des nombreuses voitures qui proposent de vous conduire. Rien de curieux comme ces véhicules surannés, calèches ou planches, les premières pareilles à celles dont Montcalm se servit pour aller à Québec et qu’il décore du nom trop flatteur de cabriolets, espèce de tapecu à deux roues, peint en jaune très souvent, abominablement crotté, quel que soit le temps, avec place pour deux personnes et le cocher assis devant sur un banc très étroit. Quelques-unes doivent être de l’époque même de Montcalm, si vieilles, rouillées, dépenaillées et sonnant la ferraille. Les planches, beaucoup plus élastiques, sont de longues planches en effet qui reposent sur les deux essieux sans aucun ressort et couvertes comme des tapissières. Je remarque que les cliens interpellent généralement leur cocher par le titre peu élégant de charretier. Son marche donc, comme on appelle le cheval, stimulé à chaque instant par cette exclamation locale, est une bête efflanquée qui part au galop sur les raidillons et arrive en haut sans souffler.

Les chevaux canadiens descendent tous plus ou moins directement des étalons et jumens tirés des écuries royales qui débarquèrent à Québec en compagnie de quatre-vingts « filles d’honneur » destinées aux colons, et de soixante-dix artisans avec leur outillage (1665). Les Hurons, les comparant à celui des animaux indigènes qui leur ressemblait le plus, l’orignal, une espèce d’élan,