loin pour le plaisir de défricher des terres encore incultes. Beaucoup s’en vont aux États-Unis louer Leurs bras et gagner de l’argent ; mais, qu’ils reviennent ou non, ils ne se laissent pas absorber un seul instant par l’élément yankee, ils emmènent souvent leur prêtre avec eux, ils conservent toutes leurs habitudes françaises, ils ne quittent jamais des yeux le clocher de la paroisse.
Ce mot sacré de paroisse représente bien des choses fondamentales ; il ne faut pas oublier que Louis XIV institua le régime féodal dans la Nouvelle-France. Il existe encore, sauf que le curé a remplacé le seigneur. Celui-ci n’obtenait de terres, en récompense de ses services ou en considération de sa naissance, qu’à charge par lui d’y établir un nombre déterminé de colons dans un certain délai. S’il manquait à cette obligation il était déchu de son privilège. Très favorable à l’agriculture, Louis XIV anoblissait volontiers ceux qui s’y livraient avec zèle ; il savait flatter ainsi la passion des Canadiens pour les titres, et Colbert poussait aux mariages précoces, envoyant à cet effet des cargaisons de « filles d’honneur » dont les religieuses prenaient soin. Le pli en est resté. Le Canadien se met en ménage presque avant d’avoir de la barbe au menton, il a beaucoup d’enfans dont le travail l’aide à s’enrichir ; tous les douze ans, d’après les recensemens, la population est doublée ; et elle ne pourra jamais être assez nombreuse pour exploiter toutes les terres en friche qui à l’ouest attendent des bras. Il n’est plus question des seigneurs qui s’éloignèrent devant la domination étrangère ; leurs manoirs sont généralement habités aujourd’hui par une bourgeoisie dans les rangs de laquelle se recrute la partie la plus distinguée du clergé, seul maître de la situation. Une même famille donne parfois deux ou trois religieuses et autant de prêtres. C’est grâce à la vigilance des uns et des autres que la langue, la loi civile, les mœurs françaises ont été conservées, et, si l’étranger de passage trouve l’Eglise un peu absolue, un peu intransigeante dans sa manière d’agir, c’est qu’il oublie combien s’est imposée longtemps la nécessité de veiller à ce que les vaincus ne devinssent pas Anglais, catholique étant ici synonyme de Canadien français. Aussi quelle ferveur religieuse chez ces obstinés patriotes ! Il faut faire trois, quatre lieues pour ne pas manquer la messe, à cause de la dispersion des fermes, et on ne la manque guère, fût-ce pendant les grandes tempêtes hivernales. On s’y rend en voiture, c’est encore facile, mais plus loin sur la côte, là où l’on