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garder les vieilles coutumes, comme d’autres peuvent l’être d’acquérir de nouveaux droits, ils mènent encore la vie patriarcale et se montrent par conséquent favorables aux monarchies. L’intervention d’un Dieu paternel et protecteur se mêle à tous les faits enregistrés dans leur histoire, qu’il convient de lire comme la légende dorée, car chaque succès sous la plume des Jésuites est un miracle salué d’un Te Deum, et chaque revers est accepté comme châtiment avec respect et componction.

Le Saguenay cependant s’est mis en marche, et la matinée est assez claire pour me permettre de ne rien perdre du panorama grandiose de la rade. Presque aussitôt après Québec commence la ligne blanche du village de Beauport dont les maisons se suivent à la file, en une longue procession. J’admire de face la cataracte écumeuse de Montmorency. A si longue distance, son rugissement ne se fait pas entendre. Elle m’apparaît muette, immobile, sans un pli, sa nappe élégante tendue dans l’espace à la façon d’un grand voile blanc. Ensuite c’est la côte fertile de Beaupré ; nous n’en voyons rien, sauf le sommet du mont Sainte-Anne, car notre bateau est entré dans la partie du fleuve qui, partagé comme en deux branches, court ici, entre l’île d’Orléans et la rive sud ; de ce côté il a trois lieues ; de l’autre, il est moins large, mais je commence néanmoins à comprendre ce qui, dans ma jeunesse, où l’on n’apprenait de la géographie que les détails inutiles, me pénétrait de stupeur : le Saint-Laurent verse par heure dans la mer une masse d’eau évaluée à 600 millions de mètres cubes.

Sur la côte sud on me nomme les villages : Beaumont, Saint-Michel de Bellechasse, Saint-Valier ; sur le rivage de l’île d’Orléans, Saint-Jean, Saint-François. Les saints sont partout en majorité. Devant la Pointe à Blin, un ingénieur du pays qui cause avec nous, rappelle que ses ancêtres s’établirent à cette place en 1680 et lui laissèrent leur nom. Aussitôt je me mets à le regarder avec autant d’intérêt que s’il eût pu me donner de visu des nouvelles de Frontenac en personne. Les origines des familles canadiennes sont parfaitement établies, grâce aux registres des paroisses d’après lesquels a été fait le dictionnaire généalogique, très complet, de l’abbé Tanguy.

Au cours de la conversation, quelqu’un m’assure qu’il reste encore sur la côte de Beaupré beaucoup de familles qui possèdent les terres données à leurs aïeux par Louis XIV et que nulle