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SAINT-LAURENT
ET SAGUENAY

Pendant les premiers jours qu’il passe à Québec, le voyageur, ébloui par l’étendue majestueuse du Saint-Laurent, s’absorbe d’abord tout entier dans ce spectacle.

La suprême beauté de l’Amérique du Nord tient pour des yeux européens à ses lacs et à ses fleuves, à ses fleuves surtout. Nous avons d’aussi hautes montagnes, un littoral aussi pittoresque, des paysages qui ne le cèdent à aucun, mais nous ne savons pas ce que c’est qu’un grand fleuve tel que le Mississipi ou le Saint-Laurent. Encore ne peut-on comparer les rives basses, mouvantes, sans consistance et sans dessin, du père des eaux, comme il m’est apparu en Louisiane, roulant son limon jaunâtre à travers les savanes et les champs de cannes, au cours superbe de son rival encadré par les belles découpures des Laurentides.

Faites le guet du haut de ce poste d’observation qu’offre sur toute sa longueur, — 1 400 pieds du nord au sud, — la terrasse qu’on nomme indifféremment du nom de lord Durham qui la commença ou de lord Dufferin qui l’agrandit, mais que les Québecquois préfèrent appeler la terrasse de Québec. Si c’est le matin, le soleil monte lentement au-dessus de la nappe frémissante L’infinie fraîcheur, le calme souverain des tons de rose, humides et veloutés, qui semblent sortir de l’eau comme une nymphe sort du bain, forment un violent contraste avec tout le noir de la basse ville grouillante de commerce ; celle-ci s’accroche aux remparts, blottie sous l’orgueilleuse falaise, entre le rocher qui la repousse et le fleuve où elle déborde sous forme de navires et de radeaux.