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institutions, les avaient introduites chez eux et fort adroitement combinées ensemble ; il constatait seulement que, de quelque manière qu’elles y fussent venues, elles s’y trouvaient, et il concluait que c’était le principal mérite de ce gouvernement de réunir ce qu’il y avait de mieux dans les autres.

C’est précisément ce qui n’existait guère dans la patrie de Polybe, et voilà pourquoi Polybe en fut si frappé. Les constitutions des cités grecques étaient d’ordinaire l’œuvre d’un sage ; sorties d’un seul bloc de ses méditations, déduites habilement d’un principe unique, elles séduisaient l’esprit par un air de logique et de régularité. Celle de Rome avait une origine différente ; elle s’était faite, pour ainsi dire, elle-même, après de longues luttes et par des compromis successifs. Les politiques de ce pays, gens sensés et pratiques, avaient plus de souci des intérêts que des principes ; nous ne voyons pas que les plébéiens aient jamais fait précéder leurs réclamations d’un manifeste qui ressemble à la Déclaration des droits de l’homme. A chaque fois ils formulent une demande précise, ils réclament qu’on crée une magistrature nouvelle qui les protège, qu’on abolisse un privilège qui les gêne, qu’on leur ouvre l’accès de telle ou telle dignité publique qui leur est fermée, et, à force de le demander, ils finissent par l’obtenir. C’est ainsi que, peu à peu, l’une après l’autre, des institutions nouvelles, quelquefois contraires aux anciennes, sont entrées dans la constitution, et l’ont singulièrement élargie sans la faire éclater. La monarchie n’en a pas été tout à fait exclue, quand on a banni le monarque, et, quoique l’aristocratie y domine, la démocratie a réussi à s’y faire une place. Avec le temps, les élémens divers dont elle se composait finirent par s’équilibrer l’un par l’autre, en sorte que, malgré les disparates de détail, il n’en régnait pas moins une certaine unité dans l’ensemble. « Ce qu’on appelle union dans un corps politique, dit Montesquieu, est une chose très équivoque. La vraie est une union d’harmonie qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général, comme les dissonances dans la musique concourent à un accord total. »

Le principe qui domine la constitution romaine, c’est que l’autorité réside dans le peuple, c’est-à-dire dans la réunion des citoyens. Le peuple est l’unique source d’où procède le pouvoir : nemo potestatem habet nisi a populo[1] ; mais si le pouvoir vient

  1. La langue latine a un avantage sur la nôtre. Elle possède un mot pour désigner la réunion des citoyens, populus, et un autre, plebs, qui ne s’applique qu’à la classe inférieure, qui a été longtemps privée de droits politiques. Nous n’en avons qu’un, ce qui donne lieu aux confusions les plus fâcheuses. Quand un politique dit chez nous qu’il défend les droits du peuple, nous ne savons pas bien ce qu’il veut dire, et si c’e*t de tous ou de quelques-uns qu’il veut parler.