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répression avait remplacé chez lui le désir ou du moins l’espérance perdue de la conciliation. Et certes, il n’y avait pas seulement de sa faute. Il faut bien reconnaître que le parti jeune-tchèque avait, à ce moment, des ardeurs presque révolutionnaires, qui se sont depuis un peu atténuées. Après les élections de 1895, le statthalter a voulu donner sa démission ; elle n’a pas été acceptée tout de suite. Il se rendit à Vienne ; il expliqua sa politique, il cherchait encore un modus vivendi avec les Jeunes Tchèques. Mais à peine de retour à Prague, il eut affaire à eux dans une séance du Landtag (25 décembre 1895), et les démonstrations tumultueuses dirigées contre sa personne l’empêchèrent de parler. Alors, il donna définitivement sa démission, et le comte Badeni l’accepta.

Tel est l’homme ; sa figure reste complexe ; et nous ne saurions dire si, investi d’une autorité plus grande, il reviendra à sa première manière qui était bienveillante et qui correspond chez lui à des sentimens très anciens, ou s’il persistera dans la seconde, faite de découragement et de raideur. Son arrivée au pouvoir a laissé l’opinion incertaine. Les Tchèques lui savent encore gré de ce que, à un moment du moins, il a voulu faire, bien qu’il ne l’ait pas fait. Les Allemands, au contraire, affectent de voir en lui un homme désormais acquis à leur cause, et dans lequel ils voient leur dernière ressource. Ils rappellent volontiers que son cousin, le comte Oswald Thun, a répondu naguère au discours tchèque du prince Frédéric Schwarzenberg à Budweiss, et ils ne doutent pas que ses propres sentimens ne soient conformes à ceux de son parent. En réalité, nul ne sait avec quel programme il arrive aux affaires, ni même s’il en a un bien arrêté. La composition même de son ministère ne donne pas, à ce sujet, beaucoup de lumières. Ce n’est pas du côté du ministre de la guerre qu’il faut en chercher. Le feldzeugmestre comte Zeno Welsersheimb remplit ces fonctions depuis dix-huit ans, ce qui est d’ailleurs un bon exemple ; il est entré en cette qualité, en 1880, dans le ministère Taaffe, et est resté dans tous ceux qui sont venus depuis. C’est un soldat. « Ma politique, a-t-il dit un jour dans un discours au Reichsrath, est très simple : elle tient en lettres d’or sur ce porte-épée. » D’ailleurs énergiquement opposé à l’introduction dans l’armée des questions de nationalité, il y a maintenu sans la moindre défaillance les droits exclusifs de la langue allemande. Le ministre du commerce, le docteur Joseph-Marie Ba3rnrei-ther, député de la grande propriété de Bohême (du groupe de la gauche allemande), a beaucoup contribué à la chute du comte Badeni. On affirme pourtant que les ordonnances sur le régime des langues lui