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Badeni per fas et nefas, cet expédient paraissait acceptable : le baron Gautsch a eu le tort de croire qu’il l’était encore après, et il a publié des ordonnances dans ce sens. Les solutions bâtardes ont le défaut de ne contenter personne. Lorsqu’on les accepte, c’est avec l’arrière-pensée de ne pas s’y tenir. La situation que le baron Gautsch laisse à son successeur, loin d’être déblayée, est peut-être plus compliquée qu’auparavant. Un nouvel essai de solution a amené une nouvelle crise ministérielle. Le baron Gautsch, ayant voulu agir, est tombé. L’empereur lui a manifesté les plus vives sympathies, comme il les avait d’ailleurs manifestées au comte Badeni ; mais il l’a laissé partir, comme il avait laissé partir l’autre. C’est maintenant le tour du comte Thun.

Le comte Thun n’est pas un fonctionnaire comme M. Gautsch, mais bien un grand seigneur et un personnage considérable. Avec lui, on est en présence d’un ministère sérieux, qui s’efforcera de durer, qui est susceptible de faire quelque chose : mais quoi ? Le passé du comte Thun nous renseigne assez mal à ce sujet. Le premier ministre autrichien est âgé d’un peu plus de cinquante ans. Il a commencé par l’état militaire, et il était, croyons-nous, sous-lieutenant de dragons en 1873, lorsqu’il a fait partie d’une députation de la noblesse, envoyée à Pie IX pour protester contre l’occupation de Rome. Il y a longtemps de cela, mais les Italiens ont la mémoire tenace et rancunière, et ils ont fait un accueil assez froid à la nomination du nouveau ministre. En 1879, le comte Thun a été élu à la Chambre des députés par la noblesse féodale de Bohême, et au Landtag provincial comme membre de la grande propriété fidéicommissaire. C’est dans cette dernière assemblée, en 1888, qu’il a prononcé une phrase dont les Tchèques lui sont restés longtemps reconnaissans. Bien qu’il soit lui-même Allemand, il partageait à cette époque les aspirations historiques de la Bohême, et il a terminé un discours par les mots suivans : « Puissent le sacre et le couronnement avec la couronne de saint Wenceslas, rendre encore plus étroits les liens qui unissent notre bien-aimé souverain à son peuple fidèle ! » Voir couronner François-Joseph à Prague avec la couronne de saint Wenceslas, comme il l’a été il y a trente ans à Pest avec la couronne de saint Etienne, c’est le rêve de la Bohême, et, s’il venait à s’accomplir, elle y verrait avec une joie extatique comme la consécration de sa propre existence politique. On sait quel sens les Tchèques, comme autrefois les Magyars, attachent à cette manifestation. On sait aussi que les Magyars, après l’avoir obtenue pour eux, s’opposent de tout leur pouvoir à ce qu’elle soit renouvelée pour d’autres. Au fond, c’est la lutte entre le