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évacuera-t-il volontiers la Thessalie ? Il faudra peut-être le pousser légèrement par les épaules : espérons que l’Europe n’y manquera pas, s’il y a lieu. Mais il est moins sûr que l’Europe, ou du moins que toute l’Europe, pousse les Japonais à quitter Weï-Haï-Weï. Après tout, ils auront, eux aussi, des raisons spécieuses à faire valoir pour y rester. La situation est modifiée depuis deux ans. Lorsqu’ils ont promis d’évacuer Weï-Haï-Weï, les Allemands n’étaient pas à Kiao-Tchéou, ni les Russes à Port-Arthur. L’Angleterre n’avait pas révélé, au sujet du Yang-tsé-Kiang sa profonde pensée de derrière la tête. Aujourd’hui, toutes ou presque toutes les nations européennes ont pris position dans le voisinage immédiat de la Chine, ou sur son territoire même. Les choses en sont même venues à un tel point que, si les Japonais n’occupaient déjà pas à Weï-Haï-Weï, ils l’occuperaient peut-être, et que, s’ils le quittaient, d’autres y prendraient aussitôt leur place, qui est très bonne à prendre. Les Japonais commenceront par se laisser payer, car tout le monde aime à commencer par-là ; ensuite, ils chercheront à s’entendre avec le Tsong-li-yamen pour une installation provisoire, — rien que pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, c’est le terme usuel ; — et, en cas de dissentiment, les négociations se prolongeront sans doute longtemps. On voit ces choses, avec la même netteté que si elles avaient déjà eu lieu.

L’opinion publique anglaise a ressenti le contre-coup de tous ces incidens. Ses impressions successives ont toujours été extrêmement vives. Il y a actuellement chez nos voisins un état de nervosité, dû à des causes très multiples et généralement artificielles, qui mérite une attention constante. Le dissentiment entre lord Salisbury et M. Chamberlain, et l’action personnelle de ce dernier, ont été pour beaucoup dans cet état des esprits dont nous avons été les premiers à souffrir, sans qu’il soit d’ailleurs possible de comprendre pourquoi. On nous a d’abord cherché querelle à propos de l’Ouest africain : il a été reconnu, depuis que notre attitude avait été parfaitement correcte. La mauvaise humeur de nos voisins à notre égard est donc inexplicable : il faut croire qu’ils cherchaient quelqu’un sur qui la faire retomber et qu’ils nous ont donné la préférence, parce que nous étions les plus proches. Nous ne leur avions rien fait : peut-être ont-ils voulu, comme disait le Marseillais, montrer ce dont ils seraient capables, si nous leur faisions quelque chose. Évidemment, ils avaient besoin d’un succès quelque part. Ils viennent d’en avoir un en Chine, et considérable, et qui ne leur a rien coûté. Quand même certaines puissances obtiendraient à leur tour quelques avantages, les leurs conserveraient tout leur prix. N’ayant aucun intérêt