Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars.


C’est à peine si nous sommes au premier acte de la pièce qui se joue en Extrême-Orient : peut-être n’en sommes-nous qu’au prologue. Depuis que nous en avons parlé ici, beaucoup d’incidens se sont passés. Ils n’ont pas modifié la situation générale ; ils en ont seulement accentué certains traits. On voit avec une évidence chaque jour plus claire que, dans la concurrence qui s’est établie entre elles, aucune des grandes puissances de l’Europe ne permettra à une autre d’obtenir un avantage appréciable sans en réclamer aussitôt l’équivalent. Le Céleste Empire est heureusement très grand ; mais, quelque grand qu’il soit, il aura de la peine à résister longtemps au régime de concessions parallèles qu’on lui impose. S’il est à peine entamé matériellement, il l’est beaucoup plus moralement, et on peut déjà apercevoir, dans son immensité, les lignes de démarcation des dépècemens futurs. Sans doute, cette opération gigantesque aura besoin de longues années pour s’accomplir, et la génération actuelle n’en verra que la préface. La lenteur que met l’Empire ottoman à se décomposer est une leçon de patience qui s’impose à tous les esprits réfléchis. Pourtant il n’est pas impossible qu’en Extrême-Orient les destinées marchent d’un pas un peu plus rapide. Il n’y a pas là, comme dans les Balkans ou en Asie Mineure, des nationalités étouffées qui demandent à revenir à la respiration et à la vie ; il n’y a pas des races diverses, dont quelques-unes inspirent plus d’intérêt ; il n’y a pas des religions, ni des civilisations différentes. Le problème s’y présentera dans des conditions nouvelles, que nous ne nous chargeons pas de déterminer dès aujourd’hui. C’est à peine si, jusqu’à ce jour, la bordure de la Chine a été un peu échancrée par les entreprises de l’Europe ; mais, à travers ces brèches, on aperçoit des ambitions indéfinies. Elles se heurteront d’abord à la résistance naturelle des choses, jusqu’au moment où elles se heurteront les unes aux autres ; et peut-être alors verra-t-on des conflits auprès desquels ceux du passé ressembleront à des jeux d’enfant.