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conseils un jeune peintre anglais, Frédéric Leighton, que Steinle lui a recommandé : « Bien que, malgré mon âge de soixante-quatre ans, je garde toujours encore l’espoir de faire quelques progrès dans notre art bien-aimé, je me rends cependant compte, très clairement, du peu de valeur de mes œuvres, et je vois combien elles manquent des qualités que de trop complaisans amis se sont ingéniés à leur attribuer. Mais je n’en continue pas moins à faire comme l’oiseau, et je poursuis doucement ma petite chanson, telle que Dieu me l’a apprise, et je loue et remercie Dieu de toute mon âme pour la bonté qu’il a de faire en sorte que mon œuvre misérable puisse cependant contribuer, çà et là, à raviver dans une âme Son amour et la foi en Lui. »

Et voici quelques lignes de la dernière lettre, écrite par le vieillard le 28 juin 1869, quelques jours avant sa mort : « Comme je te remercie de m’avoir rappelé, une fois encore, l’image de notre passé, et d’avoir évoqué devant mes yeux l’art des vieux maîtres, cette étoile bénie qui a jadis illuminé ma voie, et dont je me suis efforcé, durant toute ma longue vie, — hélas ! si vainement, — de transmettre un reflet à mes contemporains ! Mais toi, matelot intrépide, ne cesse point de t’orienter sur elle, ne la quitte pas des yeux, laisse-toi conduire par elle vers l’unique but digne d’être atteint ! Le monde, en vérité, continuera à ne chercher, à n’aimer, et à ne louer dans l’art que ce qui vient du monde : mais l’œuvre que tu auras produite en dehors de lui sera comme une semence jetée dans un terrain fertile, et d’elle naîtra, un jour, pour les enfans de Dieu, une riche moisson de fleurs et de fruits. Des signes certains nous prouvent, tous les jours, que puissance a été donnée à Satan de nuire sur la terre. Mais nous, avec l’aide de Dieu, nous n’avons pas à craindre Satan. La croix du Christ est sur notre front : qui pourrait nous nuire ? Ceci, mon bien-aimé, j’ai tenu à te le dire comme ton frère en Christ, car le mal grandit, autour de nous, et ceux qui aiment le Seigneur doivent se prêter assistance. Nous avons à léguer à nos descendans un précieux héritage, celui de la crainte et de l’amour de Dieu. Il faut que sans répit nous disions à nos enfans et aux enfans de nos enfans, pour qu’à leur tour ils le redisent à ceux qui naîtront après eux, que de craindre Dieu et de l’aimer est l’unique sagesse, l’unique bonheur véritable dans la vie et la mort. »


T. DE WYZEWA.