Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de devenir un bon peintre, pour sa plus grande gloire ? Et de mon avenir ne t’inquiète pas, car Dieu n’abandonne jamais ceux qui lui restent fidèles. » À quoi son père lui répond en l’engageant à aller un peu moins dans les églises, « car le travail est aussi une prière ». Il lui conseille de laisser là ses sujets religieux, et de peindre plutôt quelques belles Romaines. « Ne manque pas, lui dit-il, de m’en envoyer des portraits ! » Il le gronde affectueusement, et plaisante comme un jeune homme. « De grâce, lui écrit-il, ne perds pas ton temps à des lectures pieuses, tu te gâterais la vue. Le travail est, à beaucoup près, moins fatigant pour les yeux. » Et son fils réplique avec componction : « Comment peux-tu me reprocher mes lectures pieuses ? Ne sais-tu donc pas que nous sommes tous, oui, tous appelés ! Et sans compter que ces lectures nous sont recommandées par l’Église, et qu’elles nous sont aussi nécessaires que la nourriture du corps, j’y trouve en outre un extrême profit pour mon art, attendu que l’art véritable ne consiste qu’à revêtir d’une forme belle les vérités religieuses. Tu sais pourtant, mon cher père, que le corps sans l’âme est un vil cadavre ! Mon père bien-aimé, cherche, cherche ! Le Seigneur l’a dit : Cherchez et vous trouverez ! Mais cherche dans le bon chemin. Je pleure devant Dieu des larmes brûlantes, afin qu’il daigne nous réunir dans l’amour divin. Ah ! mon cher père, la grâce du Très-Haut m’a appris à croire ; puis de nombreuses lectures ont fortifié ma croyance ; et maintenant il n’y a pas une des vérités sacrées dont je ne sois profondément convaincu. La foi ne doit pas être aveugle. N’est-il pas écrit : Essayez tout, et gardez ce qu’il y a de meilleur ! Commence donc, toi aussi, à essayer tout, et tu verras ce qu’il y a de meilleur ! »

Voici comment il décrit à son père l’emploi de ses journées, durant un séjour à Assise en compagnie d’Overbeck : « De très bonne heure le matin je me lève de mon lit, qui pourrait contenir quatre personnes outre moi. Ma première visite est pour l’église Saint-François, où j’entends la sainte messe. Après l’office divin je regarde, dans l’église, une ou deux peintures : cela me donne, ensuite, plus d’entrain à l’ouvrage. Quand je rentre, tout le monde dort encore, dans la maison. Puis je déjeune, je te laisse à penser avec quel appétit ! Puis je vais, par le jardin, à mon atelier où le frère de mon propriétaire, un vieil ecclésiastique, me tient compagnie. À midi on m’appelle pour le dîner. Après le dîner, une sieste, car la chaleur, ici, est terrible dans l’après-midi. Et vers le soir je vais me promener sur le chemin de Saint-Ange, où maître Overbeck vient au-devant de moi. En un mot je suis ravi. Dieu me donne là un bonheur parfait : et je tremble à la pensée d’en