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Quand il ne s’exalte pas sur Fra Angelico, Steinle admire les vieux maîtres florentins et viennois, Giotto, Buffalmaco, Simone et Lippo Memmi. L’église de Saint-François, à Assise, lui paraît le monument idéal de l’art de tous les temps. Et il admire fort, aussi, son compagnon Overbeck : mais son œuvre lui plaît surtout parce qu’elle n’est pas « moderne », et il s’empresse d’ajouter que ce n’est là de bon art que d’une façon toute relative, « le meilleur que puisse permettre notre époque. » En sculpture, il place Jean de Pise au-dessus de Michel-Ange : en musique, peu s’en faut qu’il ne préfère Palestrina à Beethoven, leur préférant d’ailleurs à tous deux le vieux plain-chant grégorien.

Mais ce qu’il y a en lui de plus frappant, et par où il se distingue le plus des préraphaélites anglais, c’est que son admiration pour l’art des primitifs s’accompagne d’une foi religieuse au moins aussi profonde, aussi naïve, aussi passionnée que la leur. C’est le plus sincèrement du monde, sans trace d’affectation ni de parti pris, que, dès l’enfance et jusqu’au terme de sa longue vie, il donne pour unique but à sa peinture la plus grande gloire du Christ. Non qu’il soit mystique, ou que sa piété le rende étranger aux choses de la terre : il est simplement pieux, mais avec tant de ferveur et une soumission si parfaite, que la prière semble chez lui une fonction naturelle, et qu’on ne s’étonne pas de le voir mêler Dieu à toutes ses pensées.

La même piété se retrouve chez ses amis, Overbeck, Philippe et Johannès Veit ; mais ceux-là sont des convertis, qui sans doute ont été séduits d’abord par la beauté artistique du catholicisme : et l’on peut toujours supposer que si leur âme a fini par devenir pareille à celles des vieux maîtres, c’est à force d’avoir cherché à leur ressembler. Rien de tel chez Steinle. Celui-là était catholique de naissance et d’éducation. A Vienne, sa ville natale, il avait appris le catéchisme et fait sa première communion, comme tous les enfans de son âge. Puis sa mère était morte et il était resté seul avec son père, un ouvrier graveur, excellent catholique, mais nullement dévot, et aussi éloigné que possible des problèmes de la religion. Ce n’est pas non plus à l’école, ni dans l’atelier de son maître Kupelwieser, qu’il a pu prendre les germes de son piétisme. On se demande, en vérité, où il a pu les prendre : et cependant on le voit, à seize ans, exactement le même qu’il va être jusqu’à sa mort. De Rome, où il arrive à dix-huit ans, il écrit à son père des lettres toutes débordantes de foi : « Que puis-je faire pour le remercier de ta tendresse, mon cher père, sinon de prier Dieu qu’il te conserve à moi, et qu’il me donne la force et les moyens