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amuser désormais les enfans ou les femmes, mais indignes d’un « philosophe », c’est de cette source même, c’est du sentiment religieux et du sentiment national que le romantisme allait tirer son inspiration ? Il y a persisté pendant au moins dix ans.

Autre différence : étant religieux, les romantiques, les premiers romantiques du moins, ne sont pas « sensuels ». Rien de plus chaste que le Lac, à moins que ce ne soit, dans les Nouvelles Méditations, ce Chant d’amour où Lamartine, en le spiritualisant, a paraphrasé le Cantique des Cantiques :

Tes yeux sont deux sources vives,
Où vient se peindre un ciel pur
Quand les rameaux de leurs rives
Leur découvrent son azur.
Dans ce miroir retracées,
Chacune de tes pensées
Jette en passant son éclair,
Comme on voit sur l’eau limpide,
Flotter l’image rapide
Des cygnes qui fendent l’air.

Évidemment, pour Lamartine, l’amour est autre chose que ce qu’il était pour Chénier, pour Bertin, pour Parny, « l’échange de deux fantaisies ». Il est autre chose également pour Hugo, si nous nous rappelons ces vers de la Tristesse d’Olympio :

Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères
Tous nos échos s’ouvraient si bien à votre voix
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L’oreille aux mots profonds que vous dites parfois.

« Austères » surprend d’abord ; il étonne ; on le soupçonne de n’être là que pour rimer avec « Mystères. » En fait, il dit ce que l’amour a été pour les romantiques, — dans la littérature et dans la poésie romantiques ! — l’accomplissement d’une sorte de rite, quelque chose de profond, de grave, de solennel, et, finalement, il faut s’empresser de l’avouer, quelque chose d’un peu ridicule. Le propre de l’amour et de la poésie lyrique est de n’avoir pas peur du ridicule.

Et enfin, si l’on ne peut pas dire absolument que les romantiques en général n’aient pas été des « artistes », qui ne sait qu’ils l’ont du moins été d’une tout autre manière que Chénier, que Racine, que Ronsard ? De tous les romantiques, assurément, c’est Musset qui a ressemblé le plus à Chénier, qui lui a le plus emprunté, sans en rien dire — et aussi,