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Je répondrai, Madame, avec la liberté
D’un soldat qui sait mal farder la vérité,


dit le Burrhus classique de Racine, mais d’après Sainte-Beuve, un Burrhus romantique aurait dit :


Je répondrai, Madame, avec la liberté
D’un soldat. Je sais mal farder la vérité.


C’est pour avoir trouvé dans André Chénier de ces hardiesses, ou de ces innovations, qu’il en a fait un romantique, et n’y ayant rien de plus superficiel, il n’y a rien de plus faux. La différence du classicisme et du romantisme est au fond ; elle est à peine moins profonde entre le romantisme et le néo-classicisme ; et en dépit de quelques apparences, ce n’est point seulement par la forme, c’est par leurs caractères les plus essentiels qu’un Lamartine, un Hugo, et même un Musset ont différé d’André Chénier.

Car d’abord, leurs idées ont pu se transformer plus tard, mais à leurs débuts, bien loin qu’il y ait rien en eux de Voltaire ou de Buffon, ils sont tous catholiques. Cela indigne M. Louis Bertrand ; mais je n’y puis rien faire, ni lui non plus ! « Il y a deux intentions dans la publication de ce livre, — pouvait-on lire dans la première Préface des Odes, celle de 1822, — l’intention littéraire et l’intention politique ; mais, dans la pensée de l’auteur, la dernière est la conséquence de la première, et l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses. » Lamartine avait dit avant Victor Hugo :


Que ma raison se taise et que mon cœur adore,
La croix à mes regards révèle un nouveau jour.
Aux pieds d’un Dieu mourant puis-je douter encore ?


Mais la seconde Préface des Odes contient une phrase plus caractéristique encore, et la voici : « Remarquons en passant que, si la littérature du siècle de Louis le Grand eût invoqué le christianisme au lieu d’adorer les dieux païens, si ses poètes eussent été ce qu’étaient ceux des temps primitifs, des prêtres chantant leur religion et leur patrie, le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siècle eût été beaucoup plus difficile, peut-être même impossible. » Ces « doctrines sophistiques », ce sont justement celles dont Chénier était imprégné ; ce sont les idées des Voltaire et des Rousseau, des Diderot et des Buffon, des Condorcet et des Volney, des d’Holbach et des Boulanger. Qu’est-ce à dire ? sinon que, de tout ce que Chénier et ses contemporains avaient considéré comme un amas de superstitions, bonnes pour