se réaliser plastiquement, prendre une forme et des couleurs, c’est ce qu’il est à peine utile de rappeler.
- C’est le dieu de Nysa, c’est le vainqueur du Gange,
- Au visage de vierge, au front ceint de vendange,
- Qui dompte, et fait courber sous son char gémissant
- Du lynx aux cent couleurs le front obéissant…
ou encore :
- Une ruche nouvelle à ces peuples nouveaux
- Est ouverte ; et l’essaim, conduit dans les rameaux
- Qu’un olivier voisin présente à son passage,
- Pend en grappe bruyante à son amer feuillage.
Mais, autant que poète, il est ce qu’on appelle « artiste », ou « dilettante », comme le fait avec raison observer M. Louis Bertrand ; et cela veut dire qu’idées ou sentimens n’ont d’intérêt pour lui que s’ils se revêtent naturellement d’une forme exquise ou somptueuse. A cet égard, les « fragmens » mêlés de vers et de prose qu’il a laissés me paraissent tout à fait instructifs, et aussi quelques-unes des notes qu’il avait écrites aux marges de son Malherbe. « Cette ode est bien écrite, pleine d’images et d’expressions heureuses, — c’est l’Ode à Marie de Médicis « sur sa bienvenue en France », — mais un peu froide et vide de choses. Au bleu de cet insupportable amas de fastidieuse galanterie dont il assassine cette pauvre reine, un poète fécond et véritablement lyrique, en parlant à une princesse du nom de Médicis n’aurait pas oublié de s’étendre sur les louanges de cette famille illustre, qui a ressuscité les arts et les lettres en Italie, et de là en Europe… Il eût fait un tableau court, pathétique et chaud de la barbarie où nous étions jusqu’au règne de François Ier… » Et d’ailleurs, ainsi conçue, je ne sais si l’ode en eût mieux valu ; la rhétorique, au lieu d’être « galante », en eût été savante, érudite, un peu pédante ! mais ce qu’on voit ici parfaitement, c’est, en tout cas, la nature des préoccupations d’André Chénier. « Ce plan, dit-il encore, eût fourni à Malherbe un poème grand, noble, varié, plein d’âme et d’intérêt. » Il lui eût surtout fourni un poème plein d’art, des développemens, des ornemens, des imitations, des allusions historiques encadrées ou serties dans l’or des ciselures d’expression. Et la matière n’en eût pas eu pour cela plus d’ « âme » ou d’ « intérêt » ; mais le travail y eût surpassé la matière, comme dans les Idylles d’André lui-même.
Aimer ainsi l’art, de cette manière un peu exclusive, et à ce degré, c’est être « sensuel » autant qu’artiste ; et en effet, il court dans