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dire de Sébastopol à Sedan, — le plus haut point de prospérité commerciale ou industrielle coïncider avec le plus haut point de force politique et militaire.

L’exemple de l’Angleterre nous donne la même leçon. Elle a beau être entourée d’eau, ce qui l’a, depuis l’époque de la conquête normande, à peu près préservée de l’invasion étrangère, seule des nations de l’Europe moderne ; — et qui sait si ce n’est pas là tout le secret de ce que l’on appelle emphatiquement « la supériorité de la race anglo-saxonne » ? — il n’en est pas moins vrai que la plus grande Angleterre, Greater Britain, n’a commencé de se développer que du jour où son développement a pu se faire à l’abri de sa suprématie militaire et de son autorité continentale. C’est d’Utrecht à Waterloo, 1713-1815, qu’elle est devenue vraiment l’Angleterre ; et ce n’est pas en se souciant d’abord ou principalement de commerce et d’industrie, mais de guerre et de diplomatie qu’elle l’est devenue. C’est sur les champs de bataille de Flandre et d’Allemagne qu’elle s’est rendue maîtresse de nos colonies ; et ce n’est point par l’adresse ou la ruse, mais par les armes, qu’elle nous a chassés du Canada. Si l’empire de l’Inde est passé de nos mains dans les siennes, c’est justement que Clive était un « soldat », et Dupleix n’était qu’un commerçant. Est-ce encore avec son « argent » qu’elle a combattu à Trafalgar et à Waterloo ? Et, depuis lors, d’une manière générale, il a bien pu sembler qu’elle ne se souciait que de « gaigner », comme disaient nos pères ; et on le lui a plus d’une fois reproché ; mais avant d’être « commerciaux », ce qu’il faut bien savoir, et ce qu’elle n’a garde, elle, d’oublier, c’est que tous ses gains ont été diplomatiques ou militaires.

Faut-il parler maintenant de l’Allemagne contemporaine ? et si l’Angleterre elle-même, depuis quelques années, je dis l’Angleterre industrielle et commerciale, s’étonne, s’irrite et s’effraie des progrès d’une rivale qu’elle ne se connaissait pas, qui ne voit que ces progrès sont eux-mêmes la conséquence de l’hégémonie politique et militaire de l’Empire allemand ? M. de Bismarck, alors qu’il préparait l’unité de l’Allemagne, et le maréchal de Moltke se préoccupaient-ils d’expansion coloniale ? Je ne sais ! mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’une ère nouvelle pour l’Allemagne a daté de Sedan et du traité de Francfort ; et, par delà les mers, en Amérique ou en Australie, c’est le prestige de l’« Empire allemand » qui donne aux Allemands cette confiance, en même temps qu’il