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contre eux, je veux dire en décentralisant, et en nous faisant, comme jadis, au temps de la monarchie, les soutiens et les propagateurs de l’idée catholique ? Est-ce en nous repliant, en nous ramenant, en nous concentrant sur nous-mêmes, ou, au contraire, en passant les mers et en plantant notre drapeau sur tous les points du globe ? Peu importe ! Ce n’est pas aujourd’hui la question que nous examinons. Il n’y a qu’un moyen que nous devrions nous interdire, — et, malheureusement, c’est celui dont on dirait que nous sommes le plus fiers, — qui est d’exporter jusqu’aux extrémités de l’univers nos modes, notre cuisine, et notre pornographie. Nous appelons cela l’élégance, l’art de vivre, l’esprit français ! Mais quelque moyen que nous choisissions parmi tous les autres, ce qu’il nous faut du moins savoir, c’est que la réalisation n’en est possible que par l’intermédiaire de la force militaire et diplomatique.

Nous retrouvons encore ici le sophisme commercial, et la « morale de la concurrence ». Le nerf des États modernes, c’est la finance, nous dit-on ; et le développement de la richesse, voilà le principal objet d’un grand pays. Multiplions donc les sources et les occasions de fortune ; produisons et colonisons ; essaimons et enrichissons-nous. S’il nous faut des soldats, ayons-en, par égard pour notre passé, mais ne manquons pas de leur rappeler « que nous les payons » ; et entretenons, si l’on le veut, des diplomates, mais qu’ils s’emploient à nous faire de bons traités de commerce, de ces traités, ingénieusement et savamment combinés, qui fondent la fortune de l’une des parties sur la ruine de l’autre ! L’industriel ou le négociant, voilà vraiment l’homme utile. « Quel état que celui d’un homme qui d’un trait de plume se fait obéir d’un bout de l’univers à l’autre ! Son nom, son seing n’a pas besoin, comme la monnaie du souverain, que la valeur du métal serve de caution à l’empreinte, sa personne a tout fait, il a signé et cela suffit… Quelques particuliers audacieux font armer les rois, la guerre s’allume, tout s’embrase, l’Europe est divisée, mais ce négociant, anglais, russe ou chinois, n’en est pas moins l’ami de mon cœur. Nous sommes sur la superficie de la terre autant de fils de soie qui lient ensemble les nations et les ramènent à la paix par la nécessité du commerce. » Tel est, autour de nous, le lieu commun que l’on développe ; que l’on retrouve dans les livres des économistes comme dans les discours des parlementaires ; auquel même c’est à peine si le militaire ou le diplomate osent contredire. Il