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l’Univers Israélite a bien compris la portée de ce qu’il imprimait, saurait-on faire plus maladroitement, je pourrais même dire plus grossièrement, le jeu de l’antisémitisme ? et par hasard, si dès le début de toute cette affaire, quelque « clérical », plus tiède, avait décidé de s’enfermer dans la neutralité, quel meilleur et plus sûr moyen saurait-on imaginer de l’en faire sortir ?

C’est ce qui vient encore compliquer la question de l’antisémitisme. Je ne crois pas qu’à vrai dire, et dans le sens ancien du mot, il entre beaucoup de fanatisme religieux dans l’antisémitisme ; il y a pour cela trop peu de religion en France ; et quoi qu’on affecte d’en penser en Angleterre, par exemple, ou en Allemagne, les fanatiques sont plus rares chez nous qu’ailleurs. Il faudrait seulement qu’on prît garde à n’en pas susciter. J’ai lu mon nom, moi qui écris ces lignes, dans l’article de l’Univers Israélite auquel je faisais allusion tout à l’heure, et, entre autres gentillesses, on m’y reprochait de m’être « allié contre les Juifs (dont je ne crois pas avoir parlé quatre fois en ma vie) à la lie de la populace. » « Toutes les décompositions morales ont communié, — ajoutait-on ; — les odeurs de sacristie ont mêlé leurs parfums rances aux senteurs des égouts. » Où est ici le fanatisme ? je veux dire de quel côté ? Car ce n’est pas dans le Siècle ou dans l’Aurore que j’ai trouvé ces lignes : on me répondrait en citant les articles de la Libre Parole ou ceux de l’Intransigeant. Mais c’est dans une revue qui porte pour sous-titre : Journal des principes conservateurs du Judaïsme. Et je ne m’en émeus pas autrement ! Mais si j’étais moins philosophe, je veux dire si je répondais dans les mêmes termes, est-ce bien moi qui aurais commencé ? Faut-il produire, après cela, des témoins encore plus autorisés ? De qui donc est cette page : « Le Juif (du moyen âge) s’entend à dévoiler les points vulnérables de l’Église, et il a à son service, pour les découvrir, outre l’intelligence des livres saints, la sagacité redoutable de l’opprimé. Il est le docteur de l’incrédule ; tous les révoltés de l’esprit viennent à lui, dans l’ombre ou à ciel ouvert. Il est à l’œuvre dans l’immense atelier de blasphème du grand empereur Frédéric et des princes de Souabe et d’Aragon ; c’est lui qui forge tout cet arsenal meurtrier de raisonnement et d’ironie qu’il léguera aux sceptiques de la Renaissance, aux libertins du grand siècle ; et tel sarcasme de Voltaire n’est que le dernier et retentissant écho d’un mot murmuré, six siècles auparavant, dans l’ombre du ghetto, et plus tôt encore, au temps