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christianisme, puis la philosophie du XVIIIe siècle et de la Révolution française, avaient fait le dogme de l’égalité, une science orgueilleuse, et d’ailleurs incertaine, a substitué le dogme physiologique de l’inégalité des races ; — et l’antisémitisme nous est d’abord venu de là.

Après et avec la science, la politique n’a pas moins contribué au développement du mal, et, ici encore, tout le monde est diversement, mais plus ou moins coupable. Lorsqu’en effet, après le 16 mai, tous ceux qui formaient ce que l’on appelait jadis les « anciens partis », ont en quelque manière quitté le champ de bataille (à vrai dire on les y a bien un peu forcés), et se sont comme enfermés dans une abstention qui ressemblait à de la bouderie, la République n’en a pas moins continué d’exister ; et les politiciens ou fonctionnaires de tout ordre dont elle avait besoin, elle les a trouvés plus nombreux qu’il ne les lui fallait parmi nos francs-maçons, nos protestans, et nos juifs. Voyez là-dessus l’Orme du Mail et le Mannequin d’osier ! Les « anciens partis » ont-ils d’ailleurs eu tort ou raison de bouder ? C’est ce que je ne discute point. S’il est permis de croire à la vertu mystique de l’étiquette républicaine, il l’est sans doute, ou du moins il devrait l’être aussi, d’en aimer mieux une autre. On nous pardonnera d’ajouter, comme observateur impartial et tout à fait désintéressé, que la « fidélité pour les choses tombées » honore toujours ceux qui la professent, et notamment, dans un siècle où, de toutes les religions, celle qui compte le plus de prosélytes est la religion du succès. Mais il faut bien constater le fait ! On a quitté la place ; et, comme dit le proverbe, « qui quitte sa place la perd » ; et, chez nous, une place ne chôme jamais de candidats pour l’occuper. Francs-maçons, protestans et juifs, qui tous avaient ce grand avantage de n’être liés par aucun engagement au passé, se sont donc précipités en foule par la porte qui leur était ouverte ; ils sont entrés ; ils se sont emparés de la politique, de l’administration, de l’école ; ils y règnent ; et si nous voulons être sincères, il en faut convenir, l’antisémitisme n’est qu’un nom pour dissimuler le vif désir de les déposséder.

Qu’il n’y ait rien là de très noble, on peut le soutenir ; mais il n’y a rien que de très naturel ; et même, en un certain sens, il n’y a rien que de très légitime. La France est à tous les Français ; et on aura beau dire qu’en tout temps, en tous lieux, — et particulièrement