Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/435

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques Juifs eux-mêmes n’en sont pas tout à fait innocens. La « science » a commencé la première, une pseudo-science, dont les affirmations sont en général d’autant plus arrogantes qu’elles s’autorisent de présomptions ou d’hypothèses plus arbitraires. Ce n’est pas un savant, à la vérité, — puisque c’est l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg — qui a reproché à la Révolution française d’avoir légiféré pour un homme abstrait, semblable ou plutôt identique à lui-même, en tout temps, en tous lieux, ni Français ni Anglais, ni Grec ni Romain, ni Chinois ni Peau-Rouge, mais homme, et capable en cette qualité de tous les droits comme de tous les devoirs ! Mais, depuis Joseph de Maistre, c’est toute une science, ce sont même deux sciences, l’anthropologie et l’ethnographie, qui se sont emparées de son paradoxe pour en entreprendre la démonstration. Ce sont des savans, — parmi lesquels on en nommerait d’illustres, — qui ont posé la distinction des différentes races d’hommes en « inférieures », et en « supérieures » ; qui nous ont assuré que, de même qu’on perdrait sa peine « à vouloir blanchir un nègre », de même la perdrait-on à vouloir faire un Aryen d’un Sémite ; et ce sont bien eux qui entretiennent ainsi parmi les hommes, au nom de leur science, des haines véritablement animales, des haines physiologiques, des haines de sang. Les linguistes sont venus alors, autres savans, d’une autre sorte, qui, de l’examen du mécanisme des langues, ont conclu, comme les anthropologistes, à l’« irréductibilité » des diverses formes d’esprits, à l’« incompatibilité » des humeurs, à l’« indestructibilité » des antipathies : « car la langue étant pour une race la forme même de la pensée, l’usage d’une même langue, continué pendant des siècles, devient, pour la famille qui s’y enferme, un moule, un corset, en quelque sorte, plus étroit encore que la religion, la législation, les mœurs, les coutumes ». C’est du Renan tout pur. Et enfin, avec la naïveté qui les caractérise, avec la confiance ingénue qu’ils ont dans la parole du linguiste ou de l’anthropologiste, nous avons vu l’historien et le critique, à leur tour, se proposer d’expliquer, par cette inégalité des races, l’évolution des littératures et le développement de la civilisation. Étonnons-nous, après cela, que, de leurs livres à tous et de leur enseignement, la théorie ait passé dans les journaux ; se soit insinuée dans les imaginations populaires ; y ait étendu ses racines ; et qu’on ne l’en puisse arracher désormais qu’avec la superstition de la science ! À l’évidente vérité que la nature proclamait d’elle-même, et dont le