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théories que le moraliste professa ensuite, à l’apogée de sa gloire, et que, par ce motif même, nous nous sommes accoutumés à considérer comme les théories invariables de toute sa vie.

Durant cette période qui précède celle infiniment plus retentissante de l’apostolat, le réalisme d’Alexandre Dumas fils ne s’affirme pas seulement par le choix des sujets et des personnages, par la recherche de la familiarité parfois presque banale du dialogue, par le culte de la vérité exacte plutôt que de la thèse utile. Son procédé de composition littéraire constitue encore une nouvelle manifestation de son état d’esprit, et prouve suffisamment qu’il ne pratiqua pas toujours ce système rigoureux des sciences mathématiques et logiques appliquées à l’art du théâtre : système peut-être susceptible d’aider à la solution des problèmes moraux que soulève le spectacle de l’humanité et du monde, mais qui eût été assurément détestable dès qu’il s’agissait d’exprimer par des fictions vivantes les caractères, les sentimens, et les mœurs d’une société très complexe. Fort peu soucieux, en ce temps-là, d’élucider des questions de casuistique et encore moins de réformer nos codes, son effort ne tendait donc aucunement, — comme plus tard — à emprisonner son auditoire dans une argumentation serrée, violente, rapide, aboutissant directement à une résultante fatale. Mais sa principale préoccupation consistant au contraire à dresser sur la scène un individu ou un groupe d’individus aussi ressemblans que le comportait la convention théâtrale, il n’hésitait pas à multiplier les détails accessoires, les incidens parasites, les développemens prolongés, en un mot tout ce qui pouvait servir à éclairer et à mettre en valeur les physionomies des êtres réels dont il essayait d’animer les portraits.

Les comédies qu’il écrivit à cette époque se trouvent ainsi notablement plus étendues que les autres, et l’unité d’action y apparaît beaucoup moins manifeste. Enfin, comme dernier document psychologico-littéraire, le témoignage d’un homme qui le touchait d’assez près pour être bien renseigné sur ses méthodes de travail, semble précieux à retenir. Voici dans quels termes Dumas père s’exprimait sur son fils : « Alexandre cherche et adopte un type. Ou plutôt un type le rencontre et le prend. Ce type est l’embryon de la pièce. Dans la Dame aux Camélias, il s’appelle Marguerite Gautier ; dans Diane de Lys, c’est la dame aux perles ; dans le Demi-Monde, c’est Suzanne d’Ange ; dans la Question d’Argent, c’est Jean Giraud ; dans le Fils naturel, c’est