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anecdote si souvent remaniée, ce n’est certes pas tant sa valeur intrinsèque que les différens aspects sous lesquels elle est envisagée selon ses incarnations successives. La marquise Diane, en 1851, est une grande dame qui n’a pas été particulièrement mal mariée ; elle est oisive, elle s’ennuie et elle prend un amant. Elle a tort peut-être ; seulement, après tout, « quand une femme n’a ni son père pour veiller sur elle, ni sa mère pour la conseiller, quand elle n’a pas d’enfant qui la retienne chastement au seuil conjugal ; quand elle a la liberté, cette mauvaise conseillère des femmes, quand elle a eu tout ce qu’elle a désiré, et qu’elle n’a pas trente ans, que voulez-vous qu’elle fasse ? » Elle et ses pareilles, « si elles sont excusables, le sont en ce sens qu’elles n’ont d’appui et de refuge nulle part, et que l’éducation, la religion et la morale, qui peuvent quelquefois abriter la femme contre la douleur ou la passion, ne l’abritent jamais contre les conseils de l’ennui. » Jusqu’ici, on ne saurait se montrer plus accommodant.

Dès 1853 pourtant, cette sereine constatation des faiblesses inhérentes à la nature humaine va faire place à des conclusions plus sévères, et avec la Dame aux Perles nous sommes déjà loin de ces bienveillantes peintures du libertinage élégant. La duchesse Annette a pour époux le dernier des misérables, qui la délaisse, qui la brutalise, qui la ruine et qui essaye de la vendre : au milieu de sa solitude et de son désespoir, elle fait la connaissance d’un homme qu’elle aime, qui l’aime et à qui elle se donne : ce n’est plus ici une simple liaison passagère, nouée par le désœuvrement de la principale intéressée, destinée à être dénouée par la satiété réciproque des deux amans ; c’est la passion qui absorbe la vie entière et qui ne se résout que par la mort. Dans de semblables conditions, l’adultère constitue-t-il vraiment un manquement impardonnable aux lois morales ? Ne soyons point trop exigeans encore. Plus tard, Alexandre Dumas fils, au moment de sa période d’intransigeance la plus implacable, se laissera aller à reconnaître que « l’amour à cette puissance devient presque l’égal de la vertu ». C’est assez dire que, en 1853, son austérité ne va pas jusqu’à flétrir la faute douloureuse et tragique de la duchesse Annette. Mais cette fois précisément, où le cas particulier de la femme coupable entraîne avec soi son excuse, observez le soin que met l’auteur à plaider les circonstances atténuantes, combien il se garde de toute thèse subversive et comment, au contraire, il saisit chaque occasion d’affirmer son respect de la régularité