Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et se défendit ; l’épreuve qui pouvait le perdre lui fut au contraire un enseignement salutaire ; et il en sortit assez tôt pour n’avoir eu le temps que d’y amasser, en partie, la matière de son œuvre à venir.

Lui-même, à ce sujet, n’a pas d’ailleurs ménagé ses aveux : « Je ne prenais pas grand plaisir à ces plaisirs faciles. J’observais et je constatais plus que je ne jouissais dans cette vie turbulente. Les créatures dévoyées que je côtoyais à chaque moment, qui vendaient le plaisir aux uns, qui le donnaient aux autres, qui ne gardaient pour elles qu’une honte certaine, qu’une ignominie fatale, qu’une fortune douteuse, me donnaient au fond plus envie de pleurer que de rire, et je commençais à me demander pourquoi cela était ainsi. » En son inquiétude, peut-être un jour se rappela-t-il ce dîner auquel il assistait « chez une personne de mœurs légères qui a laissé un renom dans la haute galanterie vénale, » et se souvint-il ensuite de la conversation qu’il avait eue avec ce comte G. d. L. T. d. P, dont il esquisse le portrait dans ses Notes sur Francillon : « J’ai une quinzaine d’années de plus que vous, lui avait dit le comte, et ceci m’autorise à vous faire entendre un bon conseil… Nous venons de dîner chez une fille très séduisante et très spirituelle. On voit là des personnages de toutes sortes, et vous y pouvez faire d’utiles observations. Faites les observations ; mais, quand vous aurez vingt-cinq ans, tâchez que l’on ne vous revoie plus dans cette maison, ni dans d’autres de même spécialité… C’est justement parce que, moi, je suis maintenant condamné à y rester, que je vous conseille de ne pas y revenir. » Alexandre Dumas fils suivit à la lettre la ligne de conduite tracée par son ami d’occasion ; il observa, et il s’en alla. Ses cinquante mille francs de dettes ne furent du reste probablement pas étrangers à sa décision de dire adieu au monde et au demi-monde ; les instincts de régularité bourgeoise, pratique et honnête, qu’il tenait de sa mère, ne lui permettaient point de contempler avec l’inaltérable indifférence paternelle


Un tas de créanciers hurlant après ses chausses.


Il voulait payer et payer par son travail. Fils d’un homme de lettres illustre, on serait en droit de s’étonner qu’il n’eût pas cherché d’abord sa voie du côté de la littérature. C’est ce qu’il devait faire, et c’est ce qu’il lit.

Doué, comme nous avons essayé de l’établir, par ses