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jamais qu’à s’effacer entre l’un et l’autre, et mena jusqu’à sa dernière heure l’existence la plus modeste et la plus digne. Quelle qu’ait pu être officiellement sa position sociale, on devine en elle une âme de très petite bourgeoise, assez semblable à celles de ces grisettes qu’ont chantées Musset, Murger, Dumas fils même, et dont les caprices de cœur avaient bien plutôt pour cause le hasard des circonstances que les nécessités du tempérament ou le goût des aventures. Cette Marie-Catherine Lebay fut sans doute une nature simple, droite, honnête, laborieuse et dévouée, régulière par toutes les tendances de son être intime, très conforme en définitive aux deux personnages pour qui elle a servi de modèle ; elle n’avait rien d’héroïque en revanche, à transmettre à son fils, et elle ne pouvait que continuer en lui l’atténuation du type ancestral. Aussi, malgré sa complexion robuste, ce fils, ni au physique ni au moral, n’a plus guère de rapports visibles avec son étonnant aïeul ; il est bien un homme de notre temps, de notre race et de notre civilisation : au bout de trois générations, la lignée fantaisiste et romanesque des Davy de la Pailleterie est rentrée dans le rang.

Et pourtant, chez le dernier d’entre eux, quelque chose est bien resté de ses origines composites. Si, de sa mère, si, de celle de ses grand’mères qui s’appelait Elisabeth Labouret, on peut croire qu’il ait hérité un certain goût de régularité pratique, un bon sens parfois assez avisé, et des aspirations morales en somme souvent étroites et moyennes, de ses ascendans paternels il reçut une imagination ardente, un besoin inné d’incessante combativité, et enfin une hypertrophie de l’individualisme qui, en un temps de renaissance religieuse, eût fait de lui le plus intransigeant des législateurs et le plus intolérant des apôtres ; à l’époque de la Révolution, l’eût rangé parmi les Jacobins les plus redoutables ; et sous une monarchie absolue, ou bien l’eût poussé en quelque conspiration, ou bien l’eût obligé à devenir premier ministre à la manière des Richelieu et des Bismarck.

Ceci, chez Alexandre Dumas fils, constitue la part des hérédités : nous serons amenés à constater en de multiples circonstances l’influence qu’elles eurent sur son œuvre, sur la direction de ses idées et de sa vie. D’un autre côté, l’influence de l’éducation particulière qu’il reçut n’est pas moins manifeste et profonde. Comme la plupart des écrivains et des penseurs de son temps, lui-même a longuement et souvent insisté sur ces fatalités psychologiques qui s’attachent à nous dès le berceau, et que nous avons reçues