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probablement très au-dessous de la vérité, à cause de l’intérêt qu’ont les mineurs à travailler clandestinement et à exporter en cachette le produit de leurs travaux. L’Etat est le seul acheteur légal de l’or en Sibérie et prélève, au moment où il en prend possession, un droit de 3 à 15 pour 100 du produit brut[1], outre l’impôt d’un rouble par dessiatine (110 ares) de terrain concédé. Ce système de taxation est évidemment mal conçu : il pousse d’abord à des dissimulations considérables, qu’un haut fonctionnaire de l’administration des mines n’estimait pas à moins de 5 000 kilogrammes, soit plus de quinze millions de francs d’or par an ; de plus, il a conduit les compagnies minières à se faire concéder des étendues exagérées de terrains aurifères dont elles n’exploitent que les plus riches, mais dont elles préviennent ainsi le passage entre les mains de concurrens qui leur enlèveraient leur main-d’œuvre ou les obligeraient à hausser leurs salaires. Une élévation de la taxe superficielle, compensée par la suppression du droit perçu sur le produit brut, empêcherait cet accaparement et rendrait les fraudes moins aisées. Il semble qu’une réforme dans ce sens soit prochaine. L’obligation même de vendre à l’État est onéreuse pour les concessionnaires, parce qu’ils doivent envoyer leur or à une grande distance, aux fonderies de Tomsk ou d’Irkoutsk où les agens du gouvernement l’analysent pour en établir la valeur, alors qu’il serait souvent plus simple de l’expédier directement en Europe et de le céder à des particuliers qui en payeraient plus rapidement le prix. L’inconvénient d’avoir à attendre l’argent, dont les exploitans ont souvent un besoin urgent, était encore plus sensible, lorsqu’il y a peu de temps les « assignations » délivrées aux vendeurs n’étaient payables qu’au bout de plusieurs mois, quand leur or avait atteint Saint-Pétersbourg, et qu’ils étaient obligés de les escompter aux taux élevés en usage en Sibérie. Le transport du métal en Europe est, d’autre part, une gêne pour l’Etat ; il se fait sous la protection d’escortes armées. J’ai rencontré à deux ou trois reprises entre l’Iénisséi et le Baïkal de ces charrettes portant, outre des sacs d’or, trois ou quatre soldats, la baïonnette au canon de leur fusil, tout prêts à repousser une attaque.

Une réforme de la législation minière s’impose donc et paraît d’ailleurs prochaine ; une amélioration des méthodes

  1. Le chiffre de 15 pour 100 ne s’applique qu’à la Transbaïkalie.