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sibériens ; en 1894, le gouvernement de Tobolsk, le mieux partagé à cet égard, ne comptait dans ses écoles que 19 100 enfans, alors qu’il était peuplé de plus de 1 400 000 âmes ; dans les villes, la proportion du nombre des écoliers à celui des habitans était de 4,63 pour 100, mais, dans les campagnes, elle n’atteignait que 1,05. Il n’y a pas à s’étonner de ces chiffres si faibles, quand on songe à l’énormité des distances, à la difficulté de placer un maître d’école dans chaque hameau, à la prédominance des illettrés en Russie d’Europe même où, malgré les grands progrès accomplis depuis quelques années, les deux tiers des conscrits ne savent encore ni lire ni écrire ; mais il est certain qu’en un pareil pays, plus que partout ailleurs, l’instruction serait précieuse, pour permettre à l’homme des campagnes d’occuper les longs loisirs que lui impose le climat.

Le servage n’a jamais existé en Sibérie qu’à l’état d’exception, aussi les moujiks ont-ils une attitude plus fière, moins déprimée que leurs frères de la Russie d’Europe. Ils ont en commun avec eux cet esprit de charité réel, quoique peu agissant, cette « pitié slave », peut-être un peu trop vantée, car ce n’est pas une vertu active, qui les porte à s’entr’aider les uns les autres, tout en se défiant assez des étrangers, des inconnus, à moins que ce ne soient des malheureux, des forçats évadés par exemple, pour lesquels ils laisseront parfois une jatte de lait ou un morceau de pain, sur le rebord d’une fenêtre de leur isba. Ces qualités sont insuffisantes à compenser les défauts que j’ai décrits sans les exagérer, je crois, et que leur isolement et leur ignorance contribuent beaucoup à accentuer, il n’est que juste de le reconnaître. Mais on juge aisément quel médiocre parti de pareilles gens peuvent tirer des ressources que la nature a mises entre leurs mains.

Le sol est souvent très riche en Sibérie : le célèbre tchernoziom, la terre noire de la Russie du sud, couvre une grande partie de la zone méridionale des provinces de Tobolsk et de Tomsk ; les vallées supérieures de l’Obi et de l’Iénisséi, abritées des vents du nord, jouissant d’un climat plus doux que les plaines, sont d’excellens terrains pour toutes les variétés de cultures : sur les bords de l’Angara, le grand émissaire du lac Baïkal et de ses affluens, sur ceux, un peu trop humides peut-être, du moyen Amour et des rivières qui s’y jettent, se trouvent de vastes étendues très fertiles ; mais les méthodes agricoles sont des plus primitives. Nouvellement défrichée ou prise sur la steppe vierge, la terre arable est