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c’est qu’il passe un peu au sud de la région colonisée, qu’il effleure même parfois la steppe insuffisamment arrosée que les Kirghizes parcourent avec leurs troupeaux. Aussi voit-on souvent, aux stations, de ces nomades aux yeux noirs bridés, au teint jaune, à la tête rasée, qui jettent une note sombre au milieu des moujiks blonds, dont la surabondante chevelure retombe sur leur traditionnelle chemise rouge. Un peu plus au nord ou à l’est, après qu’on a passé l’Obi, les Kirghizes disparaissent à peu près complètement, bien que la ville de Tomsk ait encore une mosquée, la plus septentrionale du monde. Dans l’ensemble de la Sibérie occidentale, qui contient les trois cinquièmes des habitans de toute la Sibérie, les Européens forment à peu près les dix-neuf vingtièmes de la population ; la zone agricole leur appartient exclusivement, les tribus polaires des Ostiaks et des Samoyèdes chassant et péchant dans les solitudes du nord, tandis que les nomades musulmans ne se trouvent qu’à la lisière méridionale et que de rares Tartares sédentaires sont restés dans les villes.

Dès qu’on franchit l’Obi, le paysage commence à se modifier : les pins apparaissent et se mêlent aux bouleaux, puis le sol s’accidente, des chaînes de collines s’élèvent qui limitent l’horizon, les rivières coulent dans des lits encaissés sur les berges desquels des rochers se montrent à nu et rompent un peu la monotonie de la trop uniforme verdure qui couvre la grande plaine de l’ouest. La vallée de l’Iénisséi, où l’on descend par des croupes bien cultivées, est dominée à l’est par de véritables montagnes, et le magnifique fleuve, clair et rapide, de mille mètres de large, forme un agréable contraste avec les rivières plus occidentales qui roulent paresseusement des eaux toujours boueuses. L’Iénisséi passé, on est définitivement en pays de collines et de forêts ; la grande route postale qui traverse de l’ouest à l’est, de Tioumen au pied de l’Oural à Striétinsk sur l’Amour, toute la Sibérie, franchit presque perpendiculairement le cours des rivières qui se dirigent toutes vers le nord, s’élève sur les hauteurs pour redescendre de deux ou trois cents mètres dans les vallées, au milieu d’une muraille presque ininterrompue de grands pins de Sibérie, au tronc rouge, à la verdure sombre, et de magnifiques mélèzes aux teintes plus claires, aux formes plus régulières, tout prêts à faire des mâts de navire ; des sapins, des cèdres dont les pommes contiennent de petites noisettes que les Sibériens récoltent et qu’ils grignotent sans cesse, se montrent de temps à autre, mais