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des troupes ; ainsi s’organisa une véritable compagnie à charte, analogue aux diverses compagnies des Indes ou à celles plus récentes de l’Afrique du Sud et du Niger ; ce fut elle qui commença la conquête de la Sibérie.

Les Strogonof une fois établis sur la Kama éprouvèrent bientôt, comme il arrive toujours lorsqu’un peuple organisé se trouve en contact avec les tribus barbares, le besoin de s’étendre aux dépens de leurs voisins tartares de l’est, n’eût-ce été que pour mettre un terme aux déprédations de ceux-ci. L’autorisation leur en fut accordée par le Tsar, et, en 1581, un chef de cosaques pillards qu’ils avaient pris à leur solde, Ermak Timoféef, s’emparait de la ville de Sibir ou Isker, capitale du Khan Kouchoum, le principal des chefs tartares de la Sibérie occidentale ; en 1587, fut commencée sur les ruines de Sibir la construction de Tobolsk.

Nous ne ferons point ici l’histoire de la conquête de la Sibérie, qui ressemble fort à celle de la prise de possession du nord de l’Amérique par les voyageurs français, presque au même moment. Une fois les tribus tartares de l’ouest refoulées vers les steppes du sud, les cosaques ne rencontrèrent plus aucune résistance de la part des pauvres tribus de chasseurs ou de pêcheurs qui erraient dans les forêts et sur le bord des fleuves. Naviguant en canot sur les rivières pendant la belle saison, n’ayant que de faciles portages à faire pour passer d’un bassin fluvial dans un autre, hivernant dans des ostrogs, réduits entourés de palissades analogues aux forts de la compagnie de la baie d’Hudson, les audacieux aventuriers russes, attirés en grand nombre par le commerce des fourrures, atteignirent dès 1636 les bouches de l’Iénisséi pour arriver en 1637 à celles de la Lena, et en 1639 aux bords de la mer d’Okhotsk. En 1648, les cosaques Alexeief et Dezhuief doublaient l’extrémité orientale de l’Asie et atteignaient le Kamtchatka. En 1651, l’ataman Khabarof s’établissait sur l’Amour que d’autres avaient déjà descendu en 1643 ; mais les Russes se trouvèrent en face des Mandchous, qui venaient de conquérir la Chine, et, malgré les deux sièges héroïques soutenus par leur forteresse d’Albazine, ils durent abandonner au Fils du Ciel, en 1688, par le traité de Nertchinsk, tout le bassin moyen et inférieur de l’Amour, qu’ils ne devaient reprendre qu’en 1858 aux Chinois dégénérés.

A l’ouest comme à l’est de la Sibérie, les frontières des possessions russes restèrent à peu près fixées jusqu’au milieu du XIXe siècle, et les soldats du Tsar ne franchirent qu’en 1847 la zone aride des