Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grand-Redan, attaqué par les Anglais. Aussi les Russes redoublent d’héroïsme et de fureur. Leurs munitions épuisées, ils se servent de haches, de bêches, de pioches, de massues ; ils étranglent, mordent, ils se font massacrer ; les cadavres s’entassent en pile les uns sur les autres.

Mais nos zouaves et Mac-Mahon ne sont pas moins indomptables. « J’y suis, j’y reste, » mande Mac-Mahon à Bosquet blessé, et il reste. Heureusement qu’un obus français a embrasé le dépôt des poudres destiné à charger les mines, sans cela, il ne resterait que pour sauter en l’air. Enfin la poignée de héros russes qui résistent dans le réduit voûté, dernier débris de la tour de Malakoff, se rend. Krouleff accourt, montre à ses soldats l’image de la Vierge qu’il portait à sa poitrine, et s’écrie : « Suivez-moi, mes braves » ; mais il fait à peine quelques pas, une balle le renverse.

Michel Gortchakof, après avoir parcouru la ligne des fortifications, comprend que c’est fini, qu’il n’y a plus qu’à courber la tête. A cinq heures, il donne l’ordre de battre en retraite sur le côté nord de la ville.

« Les Français, télégraphia le soir même le général Simpson, ont pris Malakoff et s’y sont établis ; nous avons attaqué le Redan, mais nous avons échoué. » Les Piémontais n’avaient pas été engagés.

Avant de quitter la ville qu’ils ont illustrée par les prodiges de leur résistance, les Russes, ne voulant laisser aux vainqueurs que des cendres, mettent le feu aux édifices publics et privés, aux vaisseaux, à tout ce qui peut flamber. Quand on put se risquer au milieu de ces foyers, on ne trouva que douze maisons intactes. Pendant plusieurs mois continus, une combustion souterraine jaillissait en flammes au moindre contact de l’air.

Michel Gortchakof avait été obligé d’abandonner Sébastopol, mais sans écouter les conseils effarés qui le pressaient de reculer jusqu’au cœur de la Russie, il garda la Crimée. Il ne voulut pas permettre aux Alliés de s’établir dans le triangle d’où, ayant la possession de la mer, ils eussent été inexpugnables. Il prit une forte position à Simféropol en gardant ses communications avec Pérékop. Les Russes eurent un succès à Kars, mais, par la prise de Sébastopol, leur défaite était consommée et la guerre implicitement finie.

Pélissier fut fait maréchal de France. « Je suis heureux de penser, lui écrivit l’Empereur, que grâce à votre énergie, vous