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alliés étaient tués : Brunet, Mayran, John Campbell ; Totleben blessé.


X

C’est ici qu’il faut se donner le plaisir d’admirer ce qui est si rare : la grandeur d’un caractère. L’événement en apparence a donné tort à Pélissier ; ses adversaires en profitent et essayent de l’accabler. Non seulement il ne se déconcerte pas, mais il redouble de ténacité et de vigueur. « C’est un coup manqué, écrit-il à Paris. Malgré cette non-réussite, la confiance est dans tous les cœurs, et nous prendrons notre revanche. » Il n’a jamais supporté les résistances, il ne tolère même plus les observations. Devant une réunion d’officiers généraux, il dit à Niel, qui venait de communiquer une note : « Je vous défends de la manière la plus formelle de rien ajouter à la lecture de votre note, et si vous tentez d’enfreindre mes ordres, je vous préviens que j’aurai recours à des moyens de rigueur. » En même temps, il répare ses erreurs ; il remet Bosquet à la place d’où il n’aurait point dû l’enlever ; et il charge le génie, selon la règle technique des sièges, de creuser à la sape des cheminemens à ciel ouvert jusqu’à trente mètres des contrescarpes de l’assiégé.

On n’eut pas autant de fermeté au quartier général anglais. Raglan avait souffert sans s’en plaindre les diatribes des journaux et les duretés des ministres ; l’échec de ses colonnes le consterna. Il fut bientôt après pris d’une attaque de choléra et emporté en peu de jours (29 juin). Cavour, toujours préoccupé des inconvéniens de la multiplicité des commandemens, fit conseiller au gouvernement anglais de profiter de l’occasion pour établir l’unité, en créant Pélissier général en chef. Les gouvernemens anglais n’ont pas de ces abnégations. On donna pour successeur à Raglan, Simpson, qui avait servi en Espagne et dans l’Inde, mais qu’on disait vieux et cassé.

Pélissier imposait silence autour de lui, il ne pouvait arrêter de même les dénigremens officieux adressés à l’Empereur. Niel gardait une certaine modération, Regnault de Saint-Jean-d’Angély y mettait moins de mesure. Il écrivait par exemple : « L’artillerie et le génie n’ont aucune foi dans le succès de leurs travaux, bien qu’ils les poursuivent avec le plus louable dévouement. » Le plus acharné était un homme d’esprit et de mérite,