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flottes pénètrent dans la mer d’Azof (25 mai), la parcourent en maîtres, détruisent les immenses approvisionnemens préparés, et réduisent l’armée de Sébastopol au seul ravitaillement par Pérékop et le port de Ischougar. Ces succès ne convainquent pas Tempereur, et il ordonne d’en revenir à ses directions. « Une discussion stratégique par le télégraphe avec toutes les raisons pour ou contre tel ou tel plan me paraît impossible », répond Pélissier (29 mai). A quoi l’Empereur réplique. « Il ne s’agit pas entre nous de discussion, mais d’ordres à donner et à recevoir. »

Pélissier avait été toute sa vie un soldat des plus disciplinés, il avait obéi docilement à tous les ordres et contre-ordres de Canrobert sans lui donner d’embarras. Allait-il, maintenant qu’il était général en chef, obéir au souverain aussi passivement qu’il avait obéi à son prédécesseur ? La règle de conduite à suivre dans ce cas avait été posée par le législateur militaire Napoléon : « Tout général en chef qui se charge d’exécuter un plan qu’il trouve mauvais et désastreux est criminel. Il doit représenter, insister pour qu’il soit changé, enfin donner sa démission plutôt que d’être l’instrument de la ruine des siens. Des instructions données par un prince ou par un ministre ne sont jamais des ordres militaires et n’exigent pas une obéissance passive… Un ordre militaire même n’exige une obéissance passive que lorsqu’il est donné par un supérieur qui, se trouvant présent au moment où il le donne, en connaissance de l’état des choses, peut écouter les objections et donner des explications à celui qui doit exécuter l’ordre[1]. » C’est ainsi qu’en 1796, étant le général Bonaparte, il refusa d’obéir au Directoire qui lui ordonnait d’envoyer une partie de son armée dans le royaume de Naples. Tous les grands chefs ont agi de même. Le ministre anglais ayant expédié à Wellington l’ordre de faire dans les Asturies une pointe qu’il trouvait risquée, le général répondit ironiquement à Castlereagh : « Quant à votre désir de me faire aller aux Asturies pour examiner le pays et me former une opinion sur ses forces, j’ai à vous dire que je ne suis pas dessinateur. »

Imbu de ces principes, le général Pélissier refuse d’obéir : « Sur une carte, répondit-il le 2 juin, par de simples tracés géométriques, on a bientôt construit un plan de campagne très

  1. Deuxième observation sur les campagnes de 1796 et 1798. Campagne d’Italie, ch. XVIII. Plan de campagne pour l’armée d’Italie. 29 nivôse an IV.