Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

division sur ce fait de guerre civile. Son esprit distingué, cultivé, mais moyen, débile, ne sut pas supporter la fatigue des vastes combinaisons de guerre ; il avait toutes les vaillances, sauf celle de la responsabilité. Il manquait de confiance en soi-même et d’une sage hardiesse d’initiative. Il se montra aussi incertain dans le coin mandement qu’il avait paru résolu dans l’obéissance. Arrêté par la moindre objection, l’événement le surprit presque toujours occupé à peser le pour et le contre ; dès qu’il avait enfin pris un parti, il n’en apercevait plus que les inconvéniens et ne songeait qu’à revenir à l’avis contraire. On a appelé Fleury Monsieur le Grand, il était, lui, Monsieur l’Anxieux. On avait pu avec succès le hisser jusqu’au commandement d’un corps d’armée ; au-delà, il perdit haleine.

Lorsqu’il prit la direction suprême, l’armée se trouvait au sud de Sébastopol. La ville, de ce côté, y était moins dépourvue de protection que du côté du nord ; cependant ses défenseurs ne dépassaient guère seize mille hommes, et elle n’était encore qu’une position retranchée, à peine fortifiée, véritablement à discrétion. Les Russes, sûrs de succomber, ne se préparaient à lutter que pour l’honneur. — « Si les alliés se décident à quelque acte audacieux, s’écriait le brave amiral Korniloff, ils nous écraseront. » « Ni l’exaltation des troupes, ni leur résolution de se battre jusqu’à la dernière extrémité, a écrit Totleben[1], n’auraient pu sauver Sébastopol si l’ennemi l’eût attaquée immédiatement après son passage de la Tchernaïa. » Les Anglais Raglan et Edmund Lyons proposèrent l’attaque immédiate. Canrobert s’y opposa, déclarant qu’elle constituerait un crime.

L’armée française ne vaut qu’entre les mains d’un audacieux : entre les mains d’un hésitant, des jours pénibles lui étaient réservés. On renonça à l’attaque immédiate, et l’on s’installa sur le plateau de Chersonèse. Le lieu était triste, une steppe recouverte d’une mince couche végétale d’argile, sans arbre, ou brûlante ou glacée, balayée par les rafales ou enveloppée de brumes, déchirée par des ravins aboutissant à des criques sur la mer ou sur le golfe de Sébastopol. On n’y prit pas garde, car on ne comptait demeurer laque peu de semaines, le temps de préparer la canonnade, préliminaire classique de tout assaut « non criminel ».

Pour se servir de canons de siège, il faut les couvrir et ouvrir

  1. Tome Ier, p. 257.