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pour eux et s’en indignèrent. L’Empereur les calma par une note au Moniteur, déclarant « que les mots de « conseils timides » avaient exclusivement en vue de signaler l’énergie avec laquelle le maréchal résista aux différences d’opinion bien naturelles qui, la veille d’une résolution si grave, s’étaient manifestées dans les conseils de l’armée et de la marine françaises. » Afin d’éviter un nouveau froissement, avant de rendre public son projet, l’Empereur le communiqua à Palmerston (26 février 1855). « On perdait trop de temps en mémorandums entre Canrobert et Raglan, et entre Raglan et Omer-Pacha. Il ne prétendait pas mettre son talent militaire au même niveau que ceux de Canrobert et de Raglan. Sa présence assurerait l’unité de vue et d’action : c’était le seul moyen de terminer rapidement une entreprise qui, sans cela, ne pouvait manquer de finir par un désastre pour la France aussi bien que pour l’Angleterre. »

Unité de vue et d’action signifiait pour le gouvernement anglais subordination visible de son armée à la nôtre. Il craignit qu’on n’eût l’intention de ne faire servir ses soldats qu’à transporter les nôtres ou tout au plus qu’à pourrir dans les tranchées, tandis que la gloire et l’honneur nous seraient réservés. Clarendon, qui joignait un grand charme de manières à une vive intelligence, fut envoyé en négociateur au camp de Boulogne, dans les premiers jours de mars. L’Empereur, par politesse, parut touché de ses raisons. En réalité, il persista si bien qu’il concerta avec La Marmora, arrivé à Paris, les détails du plan, si bien conçu, à l’exécution duquel il irait présider : les Piémontais deviendraient une partie de l’armée de réserve et prendraient position auprès de la Garde impériale. Cavour approuva chaleureusement, avant tout satisfait que l’Empereur allât constituer l’unité du commandement et la vigueur de l’action, il était sensible à l’honneur qu’on faisait à ses soldats en les plaçant à côté de la Garde, sous le commandement direct du souverain français. Un des aides de camp de Napoléon III, Béville, fut envoyé à Constantinople, pour préparer les logemens, et La Marmora rentra en Piémont pour hâter l’embarquement de son contingent.

Mais les ministres anglais n’étaient pas moins obstinés à ne vouloir pas que l’Empereur à vouloir. Sans le prévenir, ils mandèrent à Cavour (6 avril), par un télégramme, sans explication, que le corps piémontais devait se rendre directement à Balaklava et non à Constantinople. Cavour se récria : « Il ne reconnaissait