Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

franco-anglaise, avait été pour les Piémontais, et pour Cavour en particulier, une cruelle déconvenue. Ils craignirent d’avoir été le prix de l’accord. L’Empereur se hâta de les rassurer. Il fit savoir à Turin, par toutes les voies, que ses rapports nouveaux avec l’Autriche n’entraînaient pas le refroidissement des relations amicales avec le Piémont, et ne diminuaient pas l’importance qu’il attachait à en assurer l’intimité. Il en donne aussitôt une preuve en invitant officiellement, — ce qu’on n’avait fait encore que confidentiellement, — le cabinet de Turin à s’unir à l’alliance occidentale (11 décembre).

L’Angleterre nourrissait le même dessein, quoique dans des vues bien différentes. Elle eût voulu attirer à elle, à titre d’auxiliaires soldés, les troupes piémontaises, afin d’obvier à l’insuffisance numérique des siennes vis-à-vis des armées françaises. Sa demande d’adhésion avait été précédée d’une proposition officieuse de mettre un corps de troupes à sa solde. Le Roi n’admit pas que ses troupes pussent devenir des troupes mercenaires. Quant à la demande d’adhésion, il écrivit à Dabormida : « Faites votre possible pour savoir les conditions secrètes stipulées par l’Autriche dans l’adhésion à la triple alliance ; je ne voudrais pas qu’il y eût quelque article concernant la conservation de l’intégrité du territoire italien. Cela changerait bien notre alliance, et il faut en être sûr avant. — Ciao, cher ami, en avant marche, et soyez gai. » Puis, sans plus insister, il recommanda l’adhésion pure et simple, immédiate. Mais Dabormida n’était ni aussi clairvoyant, ni aussi flexible ; il recommença son antienne : les séquestres, les garanties, etc. Ces exigences imprudentes dévoilaient trop la pensée qu’il fallait tenir encore cachée, risquaient de rejeter en arrière l’Autriche à peine engagée. De plus elles étaient inutiles. Appeler le Piémont sur le champ de bataille n’était-ce pas, qu’on le dît ou non, poser implicitement la question italienne, et lui ouvrir la prochaine conférence ? A la conclusion de la paix, pourrait-on refuser d’entendre les doléances du compagnon d’armes dont on avait accepté le sang ? L’Empereur, toujours inépuisable de bienveillance, accueillit néanmoins ces prétentions, mais lord Clarendon les repoussa, à la surprise du cabinet sarde. L’Empereur conseilla de céder et de signer sans conditions ; il ferait son possible pour obtenir la levée des séquestres. Alors les fortes têtes de Turin opinèrent à refuser. Cette fois, le Roi le prit fort mal. « Je suis très mécontent,