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Gramont. — Eh bien, Sire, je pense comme vous : cela ne va pas ; je m’attendais à autre chose, surtout après ce que nous avait dit M. de Cavour, il y a trois semaines. J’avoue que j’ai trouvé la note un peu diplomatique…

Le Roi. — Ah ! oui, elle est belle, la note, parlons-en. Moi, je la trouve bête, voilà mon avis. Ils se sont mis sept ou huit pour la faire ; je leur ai dit ma façon de penser. J’aurais fait autre chose, moi.

Gramont. — Peut-être que Votre Majesté aurait répondu dans le sens des ouvertures de M. de Cavour.

Le Roi. — Qu’est-ce que cela, les ouvertures de Cavour ? Voyez-vous, mon cher, il n’y a pas d’ouvertures de Cavour, il n’y a que moi qui ai parlé. Je lui ai dit de vous offrir 15 000 hommes. C’est tout ce que nous pouvons donner maintenant, sans quoi j’aurais dit 30 000.

Gramont. — Alors, Sire, si la proposition venait de vous, comment se fait-il que tout ait fini en fumée ?

Le Roi. — D’abord, tout n’est pas fini. Et puis, Cavour, avec qui j’étais d’accord, a été tellement malmené par ses collègues qu’il n’a pas voulu continuer. Ils lui ont persuadé que ce serait impopulaire, d’entrer dans une alliance où sera l’Autriche, à moins que l’Autriche ne nous donne un gage par la levée des séquestres sur les biens des émigrés lombards. Mais moi, voyez-vous, je vous dis une chose, et vous pourrez l’écrire à l’Empereur. L’Autriche n’y est pas, dans votre alliance ; et elle n’y sera jamais ; et, si vous comptez sur elle, vous vous trompez. Je suis très bien informé, et j’en sais long là-dessus.

Gramont. — Je crois, Sire, que les événemens commencent déjà à vous donner raison, mais alors, rien ne devrait plus arrêter vos ministres.

Le Roi. — Certainement, rien ne devrait les arrêter. Mais ils s’arrêtent. Les avez-vous vus, il y a quinze jours, à la fête de la Constitution, rangés à gauche, à la file les uns des autres ? Eh bien ! voyez-vous, pour que ces gaillards-là marchent, il faut les pousser par les épaules. La Marmora serait bon, lui, mais il ne veut pas lâcher ses hommes. Dabormida est honnête, mais il n’écoute rien et ne cède jamais. Il n’y a que Cavour et moi. Mais attendez un peu, et vous verrez.

Gramont. — Dois-je comprendre que Votre Majesté veut entrer dans notre alliance avec l’Angleterre et y apporter son contingent de troupes ?