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descendirent dans les plaines, ils furent mis en déroute par les contingens égyptiens. Manquant de soutien extérieur, ils étaient déjà à bout de ressources lorsque Napoléon III les acheva en envoyant 12 000 hommes au Pirée. Néanmoins, ces 12 000 hommes eussent été insuffisans si l’Autriche n’avait pas, d’un bras vigoureux, tenu dans l’immobilité les populations orthodoxes du Danube et des Balkans.


II

Les puissances ne se contentèrent pas de ce service indirect. Elles pressaient Buol de faire un pas plus décisif. L’empereur François-Joseph n’avait pas le courage de s’y résoudre. Porter les armes contre le Tsar lui paraissait un manque de piété filiale ; c’était déjà beaucoup trop de l’assaillir par des notes. Une raison d’un autre genre le préoccupait, lui et ses ministres. Le Piémont, si l’Autriche s’engageait, ne profiterait-il pas de ce qu’elle était occupée ailleurs pour entrer en Lombardie ? Quand sa préoccupation de la Prusse s’apaisait, celle de l’Italie renaissait. L’empereur Napoléon, pour éloigner cette objection, eût voulu que le cabinet sarde adhérât spontanément à l’alliance de l’Angleterre et de la France, ce qui, en rassurant l’Autriche, l’eût stimulée.

Victor-Emmanuel partageait le désir de l’Empereur. Il avait compris que cette guerre était une occasion providentielle, qu’on ne retrouverait plus, de se relever du désastre de Novare et de s’acheminer à de meilleurs destins ; qu’il fallait à tout prix en profiter ; et, sans marchander, à n’importe quelles conditions, mettre en ligne l’armée piémontaise, solidement reconstituée par La Marmora, à côté de celle des alliés ; que de cette fraternité d’armes avec l’Angleterre et la France, on sortirait, quoi qu’il arrivât, et plus fort et plus imposant.

Avait-il compris le premier l’efficacité de cette conduite ? Il l’a toujours prétendu. D’autres en ont attribué le mérite à Cavour ou à Farini. Quoi qu’il en soit, la rapidité avec laquelle il l’adopta, l’énergie qu’il mit à la faire prévaloir l’ont faite sienne. Par sa proclamation de Moncalieri, par sa décision à se prononcer dans le conflit religieux, il s’était élevé au-dessus de la moyenne des hommes d’Etat : par la clarté de sa vue et la fermeté de sa volonté en cette occasion difficile, il s’est placé sans conteste au nombre des grands rois, aussi certainement que Cavour