Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêtera pas le secours de ses armées : il ne l’accorderait que si l’Autriche était attaquée dans les Principautés, et le Tsar a promis de s’en abstenir. Il congédie ceux de ses conseillers favorables à une entente avec les puissances occidentales, notamment le général de Bonin, ministre de la guerre, qui avait dit, dans une commission de la Chambre, « qu’une alliance avec la Russie serait un parricide. » Le prince de Prusse, qui proteste, est relevé de toutes ses charges militaires et menacé d’arrestation. Puis, attiré par les sympathies russes de Bismarck beaucoup plus qu’il ne l’avait été par ses antipathies autrichiennes, le roi l’appelle maintes fois de Francfort à Berlin, et le charge d’élaborer des dépêches à l’appui de son opinion, que Manteuffel, le ministre des Affaires étrangères, moins complaisant à la Russie, n’exprimait pas assez fortement. Manteuffel se fâchait de cette intervention et allait bouder à la campagne. Bismarck courait après lui, l’apaisait et le ramenait. Toujours sur l’ordre du roi, Bismarck favorisait à la Diète les résistances des États moyens. Ceux-ci, réunis en conférence à Bamberg, s’étaient concertés afin de faire obstacle à une alliance active de la Confédération avec l’Autriche. Bismarck, pour la première fois depuis son arrivée à Francfort, se trouva à la tête de la majorité.

Cette résistance du roi de Prusse à une action commune explique en partie les tergiversations de l’Autriche, dont s’impatientaient les puissances occidentales. Elle les prolongea longtemps par des duplicités : aux Anglais, elle disait qu’elle occupait les Principautés afin d’empêcher le Tsar d’y revenir ; aux Russes elle jurait qu’elle ne les tenait que pour leur donner la liberté des mouvemens en Crimée. En fait, elle ne retirait pas son ambassadeur de Pétersbourg. Toutefois, dès ce moment, elle rendit aux puissances occidentales un service qui fut le premier coup direct porté au cœur de Nicolas. Elle arrêta les soulèvemens slaves sur lesquels le Tsar comptait en Serbie, au Monténégro, en Bulgarie, en déclarant qu’elle s’y opposerait, le cas échéant, par la force. Ces populations restèrent immobiles. La Grèce fut moins accommodante. Stratford avait essayé en vain d’arracher au Patriarche une déclaration d’hérésie contre l’Eglise russe, motivée par les divergences existant entre les deux Églises. Un mouvement insurrectionnel éclata dans l’Epire et dans la Thessalie. Tant qu’ils restèrent dans les montagnes, les insurgés furent forts, et, malgré les discordes des chefs, obtinrent quelques succès ; dès qu’ils