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Hanotaux m’a dit encore qu’il ne croyait pas que ces nouvelles fussent vraies, et il m’a, depuis lors, communiqué l’assurance, reçue par lui du ministre des Colonies, qu’il n’y avait aucune troupe française dans la région en question. » Cette lecture a été écoutée par la Chambre des lords au milieu d’un profond silence, et a été suivie de quelques applaudissemens. Tout semblait fini, et bien fini. Néanmoins M. Chamberlain s’est fait interroger de nouveau à la Chambre des communes. Il a reconnu que le démenti français était satisfaisant sur le point auquel il s’applique, à savoir Argoungou, mais voilà tout : le reste subsiste. Il n’admettra jamais que notre attitude soit absolument correcte et loyale ; car, si elle l’était, comment expliquerait-il les envois continuels de troupes qu’il fait en Afrique ; — et que deviendraient les intérêts de la Compagnie du Niger au moment de sa liquidation prochaine ?

On voit à quels incidens peuvent être soumises les relations de deux pays qui seraient si bien faits pour s’entendre, au grand profit de la civilisation et de l’humanité. Lorsqu’on a fait naître des soupçons qui ne reposent sur rien, il faut de véritables efforts à la diplomatie pour les dissiper, et il en reste quand même une inquiétude réciproque, difficile à calmer complètement. Les luttes d’influence, en Angleterre même, et peut-être la simple opposition de deux hommes qui font pourtant partie du même cabinet, jouent en tout cela un plus grand rôle que les entreprises réelles des explorateurs et des soldats anglais ou français dans un territoire immense, où tout devrait d’ailleurs être immobilisé et tenu en suspens, puisqu’une commission a été chargée d’y définir et d’y fixer les droits de chacun. La dépêche de sir Edmund Monson, reproduisant les assurances de M. Hanotaux, a été comme le coup d’épingle dans un énorme ballon. Mais qui nous assure qu’on n’en gonflera pas d’autres, et que la surprise dont l’opinion anglaise a été hier victime ne se renouvellera pas demain ? Nous ne savons pas si M. Chamberlain est, comme le croit sir William Harcourt, un météore incendiaire ; mais c’est un homme actif, inventif, imaginatif, qui cherche une occasion et la provoquera peut-être. Nous avons besoin, nous aussi, pour nous rassurer, du sens rassis de lord Salisbury.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.