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vations et leurs plaisanteries ; des quolibets se croisaient avec des éclats de rire. Habeneck murmurait tristement : « C’est pourtant bien beau ! » et laissait tomber son archet impuissant à créer l’harmonie ou à commander le silence. Il finit pourtant par obtenir que la symphonie serait exécutée. Elle le fut. Mais à quelle condition ! On remplaça le larghetto, déclaré insupportable, par l’allegretto de la symphonie en la. Celui-ci fut bissé ; les autres morceaux n’eurent aucun succès.

Habeneck s’était juré d’expier son involontaire et pieux sacrilège. Quelques années plus tard, il jugea les temps accomplis et le moment venu de venger Beethoven. On sait comment il s’y prit. Au mois de novembre 1826, à l’occasion de la Sainte-Cécile, le chef d’orchestre de l’Opéra pria vingt-cinq ou trente de ses musiciens de venir déjeuner chez lui et d’apporter leurs instrumens : on ferait un peu de musique. Accourus avec empressement (Habeneck avait la réputation de bien traiter ses hôtes), les conviés trouvèrent sur les pupitres la symphonie Héroïque. Attaquée aussitôt, elle commença par se défendre ; avec tant d’acharnement, que l’heure du déjeuner passa sans que personne s’en aperçût. Il était près de quatre heures du soir, lorsque Mme  Habeneck, ouvrant à deux battans la porte de la salle à manger, dit à ses convives, mourans de faim et de fatigue : « Au nom de Beethoven reconnaissant, vous êtes priés de vous mettre à table pour dîner[1]. »

Suivant un second témoignage, la symphonie en la aurait partagé avec l’Héroïque ce que je n’ose appeler les honneurs d’une séance rapportée ailleurs ainsi qu’il suit : « Plus favorablement disposés dans un salon que dans la salle de l’Opéra, où le travail des répétitions n’est pas toujours très divertissant, nous trouvâmes que ces deux symphonies contenaient quelques morceaux assez bien, et qu’étudiées convenablement, rendues par un orchestre plus complet, il n’était pas impossible, malgré un bon nombre d’incohérences, de longueurs et de divagations, qu’elles produisissent quelque effet[2]. »

Elles ne tardèrent pas à le produire. De nouveaux essais furent plus heureux, et de proche en proche la contagion du beau se répandit. Habeneck alors s’ouvrit de ses projets à Cherubini, et le directeur du Conservatoire s’empressa d’y souscrire. Les démarches officielles furent faites, et le 15 février 1828, par arrêté du vicomte Sosthène de La Rochefoucauld, ministre de la Maison du Roi, la Société des Concerts du Conservatoire était reconnue, organisée et dotée, mo-

  1. Elwart, Histoire de la Société des Concerts.
  2. Rapport de Meifred, secrétaire du Comité de la Société des Concerts, cité par J. d’Ortigue dans le Journal des Débats du 9 novembre 1852.