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dans le lit de la chambre garnie. Joignez que Costard ne le lui cède en rien quand, surpris à son tour en compagnie de Bobette, il offre le Champagne au commissaire et déclare qu’il ne s’est jamais tant amusé. Tout cela, relevé par l’imprévu bariolé des propos, est d’une démence à quoi rien ne résiste.

Démence très attentive dans le fond. La suite des « mouvemens d’âme » de Paul Costard est extravagante, mais vraie. A un moment, il raconte « la plus forte émotion de sa vie ». C’était un soir où, ayant « plaqué » une petite amie, il était venu chercher l’apaisement aux Folies-Bergère. Il y vit « sept étalons de l’Ukraine » présentés en liberté. Ces noirs coursiers balançaient lentement leurs têtes surmontées de panaches noirs, cependant que l’orchestre jouait une musique solennelle. Et cette musique, ces panaches de corbillard… Paul Costard sentit quelque chose pleurer dans son cœur. De même, après la constatation parallèle des deux flagrans délits, Costard, abandonné par Bobette, et, là-dessus, ayant lu par hasard Paul et Virginie, n’est pas très loin de croire à l’immortalité de l’âme. Pourquoi non ? Que, dans un moment de détresse sentimentale, les chevaux noirs et les cuivres imposans des Folies-Bergère l’aient fait songer à la mort ; que, dans une autre heure mélancolique, la symétrie des deux flagrans délits lui ait paru vaguement providentielle et l’ait rendu vaguement spiritualiste… c’est saugrenu, mais plausible ; nous connaissons cela ; c’est, après tout, d’impressions analogues que sont sorties les Nuits et l’Espoir en Dieu ; et il y a donc, dans Paul Costard, un Musset qui s’ignore ; un Musset « loufoque », pour parler sa langue.

C’est cette démence qui sauve ce que certaines scènes du Nouveau Jeu ont d’extrêmement osé. Lorsque, dans la chambre de Bobette, au petit jour, Costard raconte à son amie dans quelles circonstances il a « pincé » sa femme, et que, durant dix minutes, charmée par ce récit, Bobette, en chemise de nuit, fait des sauts de carpe parmi le désordre des draps et des couvertures, ce tableau d’extrême intimité nous effarerait peut-être un peu, si nous ne nous souvenions que nous sommes à Guignol et que nous assistons aux ébats de deux marionnettes. Et puis, l’auteur de Catherine s’est si bien mis en règle avec la vertu qu’on lui peut passer quelques licences.

D’ailleurs, fidèle à son devoir, le moraliste convaincu qui cohabite, chez M. Lavedan, avec le satirique audacieux, surgit au dénouement. Les personnages, calmés, défilent devant le juge d’instruction, qui paternellement les sermonne ; et Bobette, avec l’autorité de l’expérience, donne l’explication de la comédie. Le « nouveau jeu », c’est une gourme