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finalement, le héros du drame. Appelé par Catherine, il accourt exprès pour être sublime et pour se sacrifier de nouveau, non sans une emphase bien permise. D’abord bousculé par le duc, il dit à peu près : « J’aimais Catherine, et je vous l’ai donnée. Ce premier sacrifice me donne le droit de commander ici, et de disposer d’elle par une seconde immolation. Je lui ordonne de se réconcilier avec vous. » Ah ! vous voulez de la vertu ? Eh bien, en voilà ! Catherine obéit, et le duc serre respectueusement la main de l’indiscret et héroïque Mantel. La scène, en soi, a quelque grandeur. Pourquoi faut-il que je croie si faiblement à l’histoire qu’elle conclut ? Encore y croirais-je, si les personnages étaient habillés comme dans les Deux Billets ou dans le Bon Père de Florian : mais que ces jaquettes me gênent !

Le succès de Catherine a été éclatant

Encore plus éclatant, le succès du Nouveau Jeu, qui est le contraire de Catherine et qui est pourtant, à certains égards, la même chose.

Car, si les personnages de Catherine étaient un peu les fantoches aimables de la vertu, les personnages du Nouveau Jeu sont comme les polichinelles du vice « chic », du plaisir enragé, de l’irrespect et de la blague ; et, selon la fantaisie, attendrie ou ironique, de M. Lavedan, ceux-ci et ceux-là semblent s’éloigner également, quoiqu’en sens contraire, de « l’humble vérité ». Mais, je l’avoue, le Nouveau Jeu me plaît davantage, et me plaît même infiniment. Ici d’abord, l’action, très simple, est bien ordonnée et forme un tout. Puis, la joyeuse outrance des types laisse encore voir les attaches qu’ils gardent avec la réalité. Ce n’est, en somme, que le monde de Viveurs, un peu plus agité et épileptique. M. Henri Lavedan n’a fait qu’exagérer jusqu’à la plus intense bouffonnerie la démarche capricante des images qui traversent ces faibles cerveaux, leur inconscience, l’incohérence de leurs associations d’idées, l’imprévu de leurs impulsions, rapides, irrésistibles et courtes comme celles des singes.

Le « nouveau jeu » est de tous les temps. Il y avait, dans presque toutes les comédies romanesques du second Empire, un Desgenais qui le définissait avec indignation : « Ah ! vous allez bien, vous autres !… La vertu ? Vieux mot ! La famille ? Préjugé ! La patrie ? Rengaine !… » Vous reconnaissez le thème. Le nouveau jeu est simplement le nihilisme moral. Mais il n’est pas toujours tel qu’on le doive prendre au tragique. Il peut y avoir des ahuris, des jocrisses et des bouffons du nihilisme, qui est, à vrai dire, un bien gros mot pour eux. L’art de M. Lavedan, c’est d’avoir rendu leur néant prodigieusement amusant et gai, et