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insolente. Le roi des rois refusait de causer politique avec les agens qu’on lui envoyait, et qui étaient chargés de lui représenter, avec des ménagemens infinis, qu’un contrat ne peut être résilié que du consentement mutuel des deux parties contractantes, qu’aux yeux du cabinet de Rome, certain article 17 était encore en vigueur. Il ne souffrait pas que le colonel Piano mît ce sujet sur le tapis ; il lui parlait de tout autre chose, et dans leurs entretiens il affectait « une insouciance, une sérénité éthiopienne. » Il s’occupait, disait-il, de chemins de fer et de télégraphes ; il voulait frapper des monnaies, entrer dans l’Union postale, commander des machines de tout genre. Tout l’intéressait, hormis ce qui pouvait se passer à Massoua et à Rome ; l’Italie et l’article 17 n’existaient plus pour lui, il daignait oublier qu’elle avait voulu le protéger.

La politique de bascule avait diminué l’Italie dans l’esprit de ses adversaires et, autre inconvénient plus grave encore, avait excité les défiances de ses alliés naturels, qui la soupçonnaient de vouloir les sacrifier à son entente avec le négus. Le ras Makonnen, gouverneur de la riche province de l’Harrar, était un des chefs abyssins les plus intelligens et les plus influens. Il était allé jadis à Rome et s’en souvenait. Par ses alliances, par ses dons personnels, il s’était acquis un grand crédit ; aussi était-il suspect à la cour d’Addis-Abbaba, et la reine Taïtou le voyait de mauvais œil ; les envieux qui s’appliquaient à le desservir l’accusaient de convoiter la succession du roi des rois. Il importait aux Italiens de se l’attacher, et la chose semblait facile, on avait des intérêts communs ; mais, quand il les vit rechercher l’amitié de Ménélik, il se défia, se refroidit, se retira. « Nous ne devons pas nous faire d’illusions, écrivait le général Baratieri, le 16 novembre 1894. Le ras Makonnen est toujours sous l’impression des trop longues caresses que nous avons faites à Ménélik, et de notre empressement à lui accorder tout ce qu’il nous demandait, si hostile que fût son attitude à notre égard. »

Plus vives encore furent les inquiétudes ressenties par le plus proche voisin de l’Erythrée, par le ras Mangascia, à qui on avait juré une éternelle fidélité, en lui disant : « Tes amis seront nos amis, tes ennemis seront nos ennemis. » On le mettait désormais en demeure de se réconcilier avec Ménélik, de le reconnaître pour empereur, de s’en aller faire sa soumission et implorer humblement la clémence de l’homme qu’il haïssait. Il lui en coûta beaucoup ; il craignait d’être retenu prisonnier ou dépossédé de son gouvernement. Il se résigna, il surmonta ses répugnances, ses dégoûts et ses appréhensions, il mit